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Il y a un certain nombre d’années, le public en général et le public français en particulier se préoccupaient surtout de l’adoucissement des peines. Cette préoccupation, nous l’avons constatée dans la désignation de la peine, dans le calcul des années de prison à infliger à tel ou tel genre de délit. Il serait aisé de la retrouver dans l’aménagement sanitaire des lieux de détention, puis dans ces mesures qui, relevant de l’administration plus que de la magistrature, peuvent être inscrites parmi les modes d’exécution : après les sursis à l’exécution, les amnisties, les grâces, les libérations conditionnelles. Depuis quelques années, le vent a changé. Le public est surtout inquiet, — et pour cause, — de sa propre sécurité. Inutile de rappeler comment on-avait, en fait, supprimé la peine de mort et comment, trouvant le climat de la Guyane trop dur, on avait dirigé sur la Nouvelle-Calédonie le plus grand nombre des forçats. Malgré les anciens programmes radicaux, malgré ce qu’on a appelé la vieille tradition républicaine, il a fallu, bon gré mal gré, relever l’échafaud ; et déjà, depuis plusieurs années, c’était exclusivement à la Guyane qu’on envoyait de nouveau les hommes condamnés à la transportation. Mais la transportation elle-même suffit-elle encore ? On l’avait acceptée comme un moyen terme : on avait cru que, tout en dispensant de la peine capitale, elle garantirait aussi efficacement la sécurité de la métropole en la débarrassant de ses pires parasites. Or, de plus en plus, journaux et revues, récits d’explorateurs, de marins, de touristes, nous signalent l’existence paisible des soi-disant travailleurs de Cayenne et du Maroni. Ce ne sont qu’anecdotes, descriptions et photographies, où chacun des condamnés, dont on rappelle les noms trop connus, est montré vivant comme un « coq en pâte ; » on commence à se laisser convaincre que c’est une peine ; qui amende aussi peu que possible ceux qui la subissent, qui coûte très cher à ceux qui l’infligent, leur rapporte peu, et ne les préserve pas davantage. Aussi le Sénat est-il saisi d’une proposition de loi tendante à la suppression définitive de la transportation et à l’établissement de maisons de force d’un nouveau type, destinées à être à la fois plus intimidantes et plus préservatrices.

Ces oscillations du sentiment populaire allant alternativement de l’indulgence à la sévérité, les hommes d’étude et de