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« Une des choses sur lesquelles il s’examinait le plus, c’était cette fantaisie de vouloir exceller en tout, comme se servir en toutes choses des meilleurs ouvriers, et autres choses semblables. » Et l’on sait l’histoire de la ceinture de fer pleine de pointes qu’il « mettait à nu sur sa chair, » « se donnant des coups de coude pour redoubler la violence des piqûres, et se faire ainsi souvenir lui-même de son devoir. « Le « moi haïssable » était lent à mourir en lui ; mais qu’il soit parvenu à le « supprimer, » à l’abolir ; qu’il ait pu dire, penser et vivre ceci : « Il est injuste qu’on s’attache à moi, quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir ; car je ne suis la fin de personne et n’ai pas de quoi les satisfaire, » — voilà le vrai miracle de cette pensée et de cette vie. Un savant de génie abdiquant peu à peu sa personnalité et son génie pour devenir un saint, c’est toute l’histoire morale de Pascal.

Il écrivait encore :


J’aime la pauvreté, parce que Jésus-Christ l’a aimée. J’aime les biens parce qu’ils donnent le moyen d’en assister les misérables. Je garde fidélité à tout le monde, je ne rends pas le mal à ceux qui m’en font ; mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne, où l’on ne reçoit pas de mal, ni de bien de la part des hommes. J’essaie d’être juste, véritable, sincère et fidèle à tous les hommes : et j’ai une tendresse de cœur pour ceux à qui Dieu m’a uni plus étroitement ; et soit que je sois seul, ou à la vue des hommes, j’ai en toutes mes actions la vue de Dieu qui les doit juger, et à qui je les ai toutes consacrées.

Voilà quels sont mes sentimens, et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi, et qui, d’un homme plein de faiblesses, de misères, de concupiscences, d’orgueil et d’ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de sa grâce, à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur.


L’évolution religieuse de Pascal est tout entière contenue dans ces quelques lignes ; et cette profession de foi est le plus éloquent commentaire de ce mot de la Prière pour le bon usage des maladies : « Tout ce qui n’est pas Dieu ne peut pas remplir mon attente. »


On se rappelle l’admirable et profonde page de Pascal sur les trois ordres de réalités et de grandeurs : « Il y a trois ordres de choses : la chair, l’esprit, la volonté… La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus