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que j’ai commises. » Elle est ensuite une purification, un moyen de se rapprocher de Dieu, dont il est si facile d’oublier la voix dans le tumulte des sens et parmi le divertissement des créatures. « Que je m’estime heureux dans l’affliction, et que, dans l’impuissance d’agir au dehors, vous purifiiez tellement mes sentimens qu’ils ne répugnent plus aux vôtres ; et qu’ainsi je vous trouve au dedans de moi-même, puisque je ne puis vous chercher au dehors à cause de ma faiblesse. » Et elle est enfin une coopération à l’œuvre divine, un moyen, le plus efficace peut-être, d’imiter Dieu, et de collaborer au drame éternel de la rédemption. « O Dieu, qui ne vous êtes fait homme que pour souffrir plus qu’aucun homme pour le salut des hommes, entrez dans mon cœur et dans mon âme, pour y porter mes souffrances, et pour continuer d’endurer en moi ce qui vous reste à souffrir de votre passion. » Représentons-nous Pascal supportant patiemment, héroïquement, doucement les atroces souffrances dont nous a parlé Mme Perier : il avait acquis le droit, les ayant vraiment vécues, d’écrire ces nobles paroles. Je ne crois pas qu’on ait jamais plus éloquemment, ni plus profondément exprimé la conception chrétienne de la douleur.

Si belle et si puissamment émouvante que soit la Prière pour le bon usage des maladies, il est difficile de ne pas lui préférer encore le Mystère de Jésus. On sait l’origine probable de ce morceau qu’ont méconnu, — on ignore pourquoi, — les premiers éditeurs des Pensées : c’est une méditation analogue à celle qui nous a été conservée de Jacqueline sur un sujet proposé par un des « billets » mensuels de Port-Royal. A méditer sur « le mystère de la mort de Notre-Seigneur, » Pascal a littéralement revécu le drame ineffable du Calvaire. C’est bien d’abord une « méditation » véritable à laquelle il se livre. Il a sous les yeux le récit des quatre évangélistes sur la Passion du Sauveur, et, se transportant par la pensée au jardin des Oliviers, il revoit, dans leur réalité saisissante et tragique, tous les détails de la douloureuse scène. Il les revoit, et il rêve, notant aussi brièvement et simplement que possible les principaux momens de sa rêverie, les traits significatifs de sa vision :


… Il souffre cette peine et cet abandon dans l’horreur de la nuit.

Je crois que Jésus ne s’est jamais plaint que cette seule fois ; mais alors il se plaint comme s’il n’eût plus pu contenir sa douleur excessive : « Mon âme est triste jusqu’à la mort… »