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subsister le monde et toutes les choses du monde que pour exercer vos élus, ou pour punir les pécheurs ! O Dieu, qui laissez les pécheurs endurcis dans l’usage délicieux et criminel du monde ! O Dieu, qui faites mourir nos corps, et qui, à l’heure de la mort, détachez notre âme de tout ce qu’elle aimait au monde ! O Dieu, qui m’arracherez, à ce dernier moment de ma vie, de toutes les choses auxquelles je me suis attaché, et où j’ai mis mon cœur ! O Dieu, qui devez consumer au dernier jour le ciel et la terre, et toutes les créatures qu’ils contiennent, pour montrer à tous les hommes que rien ne subsiste que vous, et qu’ainsi rien n’est digne d’amour que vous, puisque rien n’est durable que vous ! O Dieu, qui devez détruire toutes ces vaines idoles, et tous ces funestes objets de nos passions ! Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce qu’il vous a plu prévenir en ma faveur ce jour épouvantable, en détruisant à mon égard toutes choses, dans l’affaiblissement où vous m’avez réduit. Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce qu’il vous a plu me réduire dans l’incapacité de jouir des douceurs de la santé et des plaisirs du monde, et de ce que vous avez anéanti en quelque sorte pour mon avantage les idoles trompeuses que vous anéantirez effectivement, pour la confusion des méchans au jour de votre colère…


Que nous sommes loin ici de l’idéal stoïcien, cet idéal dont, plus que personne d’ailleurs, Pascal a senti la grandeur[1] ! Abstine et sustine. Une patience virile, une résignation muette et hautaine, voilà l’attitude du stoïcien en face de la douleur. Mais cette douleur que le stoïcien supporte et dédaigne, mais qu’il ne désire pas, l’appeler de ses vœux, l’aimer, la bénir, — et la convertir en sainteté, — voilà un effort d’héroïsme que seul le christianisme a conçu et rendu possible, et que Pascal, nous le savons par sa vie, a su noblement réaliser. De cette existence, où la souffrance physique a eu une si forte part, la Prière pour le bon usage des maladies est un émouvant commentaire. A qui ne veut pas la considérer « en païen, » la douleur en effet a un sens et sa divine raison d’être. Elle est d’abord une expiation. « Vous m’aviez donné la santé pour vous servir, écrit Pascal, et j’en ai fait un usage tout profane… Faites-moi bien connaître que les maux du corps ne sont autre chose que la punition et la figure tout ensemble des maux de l’âme… Car, Seigneur, la plus grande de ses maladies est cette insensibilité, et cette extrême faiblesse qui lui avait ôté tout sentiment de ses propres misères. Faites-les-moi sentir vivement, et que ce qui me reste de vie soit une pénitence continuelle pour laver les offenses

  1. « J’ose dire qu’il (Épictète) mériterait d’être adoré, s’il avait connu son impuissance… » (Entretien avec Saci.)