N’aurait-il pas dès lors conçu le dessein du grand ouvrage dont les Pensées ne seront que les matériaux et l’ébauche ? Je le croirais volontiers pour ma part ; et quand l’Entretien avec M. de Saci, qui est certainement de janvier ou février 1655, ne serait pas là pour nous montrer très arrêtées quelques-unes de ses idées maîtresses, nous n’aurions qu’à songer à ses premières velléités apologétiques de 1648, pour concevoir combien un pareil dessein était naturel à une âme comme la sienne. Les Pascal comme les saint Augustin sont nés apôtres et apologistes. A peine convertis, ils cherchent à convertir les autres, à rendre témoignage de leur croyance. La conversion de Pascal n’était pas à proprement parler, nous l’avons dit, une conversion véritable, puisqu’il n’a pas eu à passer de l’incrédulité à la foi ; mais elle a eu en lui le retentissement, les effets et les caractères d’une conversion véritable. Il était, pouvait-il croire, à peine chrétien la veille ; il l’était de toute son âme le lendemain. Il n’est pas impossible qu’il ait songé à une Apologie lors de sa première conversion, et peut-être même l’idée lui en était-elle revenue plus d’une fois à l’esprit, au cours de sa vie mondaine. Mais l’Apologie que nous connaissons est née dans la nuit du 23 novembre 1654 : elle est essentiellement un acte de gratitude, de repentir et d’amour.
Deux textes, auxquels il est bien difficile d’assigner une date certaine, mais qui, s’ils ne sont pas strictement contemporains de la seconde conversion, en prolongent et en redoublent l’inspiration, achèvent de nous éclairer sur le nouvel état d’âme qu’elle a déterminé chez Pascal, et qui, au total, malgré quelques obscurcissemens fugitifs, restera le sien jusqu’à son dernier jour : ce sont la Prière pour le bon usage des maladies, et le Mystère de Jésus.
La Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies compte parmi les pages les plus belles et les plus touchantes qu’ait inspirées l’ascétisme chrétien. Par l’accent d’intimité qui les anime, par le mouvement rythmé qui les emporte, par la vivante brusquerie des « attaques » et des « reprises, » certains morceaux font involontairement songer aux plus célèbres pièces de nos lyriques modernes :
O Dieu, devant qui je dois rendre un compte exact de toutes mes actions à la fin de ma vie et à la fin du monde ! O Dieu, qui ne laissez