Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consigné le vivant souvenir de cette nuit de novembre où Dieu, prenant en pitié sa détresse, vint enfin lui « retourner le cœur. » Je ne sais si la simple vue du mystique Mémorial n’est pas plus émouvante encore et plus parlante que les plus pieux et les plus pénétrans commentaires. La disposition même de cette page qui la fait ressembler à une strophe lyrique, ces phrases entrecoupées, où des lambeaux du texte sacré se mêlent et s’entrelacent aux brèves notations nerveuses de sentimens personnels, aux retours douloureux sur soi-même, aux actes de contrition et de repentir, aux ardens fermes propos, aux adjurations passionnées, ces mots qui se détachent en traits de flamme : Feu, — Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, Dieu de Jésus-Christ, — Grandeur de l’âme humaine, — Joie, joie, joie, pleurs de joie, — Jésus-Christ, — je ne sais rien qui fasse pénétrer plus à fond dans l’intimité d’une âme exceptionnelle, surprise en l’un de ces momens uniques où elle se réalise et se dépasse tout ensemble. A quoi bon, après cela, discuter l’insoluble question de savoir si le mot « feu » est, oui ou non, symbolique, s’il y eut « vision » véritable, ou simplement illumination toute spirituelle de la grâce ? Une seule chose est sûre, mais l’est d’une manière absolue. Le lundi 23 novembre 1654, « depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demie, » le « Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, » « non des philosophes et des savans, » ce « Dieu d’amour et de consolation, qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède, » ce « Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère et sa miséricorde infinie, qui s’unit au fond de leur âme, qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour, qui les rend incapables d’autre fin que de lui-même, » ce Dieu-là a parlé non plus à l’esprit, mais à l’âme et au cœur de Pascal ; il leur a versé sa grâce, il leur a fait sentir sa présence réelle ; il a rouvert les sources vives du « sentiment, » et à cette âme qui se plaignait de sa « sécheresse » et qui se croyait « abandonnée, » il a rendu la « certitude, » la « joie » et la « paix. » Et comme elle se donnait tout entière, cette fois, sans restriction ni réserve, il lui a rendu facile désormais l’« oubli du monde et de tout, hormis Dieu. » « Joie, joie, joie, pleurs de joie ! »… En vain, dans un moment d’égarement, « je m’en suis séparé, » de ce Dieu, « je l’ai fui, renoncé, crucifié : » j’ai désormais l’espoir « que je n’en sois jamais séparé, » et la