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— l’Entretien avec M. de Saci nous en est une preuve assez péremptoire, — qu’à les entendre louer et discuter dans les milieux qu’il fréquentait alors, il ne les ait lus de plus près et pratiqués plus intimement qu’il n’avait fait encore.

Parmi toutes ces préoccupations nouvelles, que devenait « l’unique chose que Jésus-Christ appelle nécessaire ? » La société où vivait et où se complaisait Pascal n’était point une école de mysticisme. Ces « honnêtes gens » auraient eu quelque peine à se transformer en « dévots : » quelques-uns étaient de francs « libertins, » comme on disait alors, et pour les autres, une indifférence aimable, volontiers ironique, était, à l’égard des choses religieuses, leur état d’esprit le plus habituel. Que cette tiédeur ait été contagieuse, que Pascal soit à peu près revenu, au contact du chevalier de Méré et de ses amis, à une attitude intérieure assez voisine de celle de sa première jeunesse, c’est ce qui semble bien ressortir des trop rares documens que nous possédons sur cette période de sa vie. Je crois qu’il serait non seulement téméraire, mais historiquement et psychologiquement faux, d’aller plus loin. Nous pouvons, je crois, affirmer que l’incroyance systématique, laquelle d’ailleurs est assez rare au XVIIe siècle, est un état d’âme que Pascal n’a jamais personnellement connu. Peut-on même admettre qu’il ait été en proie au doute ? On s’accorde généralement aujourd’hui à renvoyer cette hypothèse au pays des légendes romantiques. Les passages des Pensées qui, à première vue, sembleraient devoir la légitimer, s’expliquent fort bien sans qu’on la fasse intervenir. Pascal, — et c’est là peut-être sa principale supériorité sur la plupart des apologistes de profession, — Pascal était capable de se représenter avec une force singulière des états d’esprit qui lui étaient pleinement étrangers ; s’il avait connu lui-même autrefois le doute ou l’incrédulité, peut-être en évoquant ces douloureux souvenirs, son apologétique aurait-elle eu un accent plus tragique encore, plus déchirant et plus personnel : je ne pense pas qu’elle eût été plus directe, plus éprouvée et plus vécue.

Ce qui reste sûr, c’est que, pendant sa vie mondaine, Pascal, — il nous le dira lui-même tout à l’heure, — avait senti sa ferveur tomber graduellement, et sa vie religieuse lentement s’affaiblir. L’état moral qu’il avait jadis, dans une lettre à Mme Perier, si curieusement décrit, était devenu le sien : « Ainsi disait-il, la continuation de la justice des fidèles n’est autre