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Lecture fit naître ou redoubla dans toute la famille « le désir de se donner à Dieu. »

Blaise fut « le premier touché, » et nous savons avec quelle ardeur conquérante, une fois converti lui-même, il convertit son père, puis sa sœur Jacqueline, et enfin sa sœur Gilberte et son beau-frère, M. Perier. Une fois converti, écrivons-nous : qu’est-ce à dire ? Le mot conversion, au XVIIe siècle, et particulièrement dans la langue janséniste, ne s’entend pas du tout, et nécessairement, du passage de l’incrédulité à la loi, mais simplement d’une religion un peu tiède à un christianisme plus scrupuleux et plus exactement pratiqué. Tel fut bien le cas de Pascal. Rien ne nous permet de penser, — surtout jusqu’en 1646, — et au contraire, tout nous porte à nier que sa foi chrétienne ait été, ne disons même pas entamée, mais effleurée par aucun doute. Le témoignage de Mme Perier sur ce point est formel : « Il avait été jusqu’alors préservé, par une protection de Dieu particulière, de tous les vices de la jeunesse, et ce qui est encore plus étrange à un esprit de cette trempe et de ce caractère, il ne s’était jamais porté au libertinage pour ce qui regarde la religion. » Il n’y a pas lieu d’y contredire.

Mais ce qui est sujet à discussion, à distinction et à réserve, c’est le caractère même de cette première conversion de Pascal : c’en est la nature ou l’espèce, et le degré, non pas certes de sincérité, mais de profondeur. S’il était possible d’expliquer et de définir d’un mot ce quelque chose d’assez complexe et obscur qu’est toujours une crise d’âme, je dirais volontiers que cette conversion de Pascal fut essentiellement une conversion intellectuelle. Ce qui fut « touché » en lui, dans ce premier contint avec le jansénisme, ce n’est pas, ou ce n’est guère ce qu’il appellera plus tard « le cœur, » je veux dire les parties les plus profondes de sa nature, sa sensibilité, sa volonté, mais bien plutôt celles qui passent à juste titre pour les plus superficielles de notre être, cette intelligence dont il était si lier, et dont, jusqu’alors, il avait si âprement poursuivi les satisfactions. On se rappelle, dans l’Avenir de la Science, le mot de Renan sur lui-même à vingt-cinq ans : il se représente « vivant uniquement dans sa tête et croyant frénétiquement à la vérité. » Le mot s’appliquerait assez bien au Pascal de 1645 : l’ « encéphalite, » dont il est atteint lui aussi, a jeté en lui de vivaces racines. Il ne voit partout que questions à résoudre, théories à édifier,