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peut-être, mais surtout commode, et qui convient excellemment. à une époque également éprise d’activité religieuse et de rationalisme scientifique. Pour être pleinement efficace et remplir tout son objet, elle exige de ceux qui l’ont adoptée une pondération, un équilibre qui sont toujours chose assez rare chez un être humain. Combien d’hommes seraient capables de faire deux parts exactes de leur vie et de vouer l’une à la science et l’autre à la « connaissance mystique ? » Suivant le côté où l’on penche, la théorie qu’Etienne Pascal avait inculquée à son fils peut tout aussi bien légitimer une certaine incuriosité des choses religieuses que des enquêtes rationnelles. On réserve, on met à part. — pour n’y guère pénétrer, — le domaine qu’on ne se sent point fait pour explorer ; et le vers ironique du poète peut ici trouver aisément son application :


Sacrés ils sont, car personne n’y touche.


C’est ce que vérifie à bien des égards le cas de Pascal lui-même. Chrétien sincère, respectueux, et même, si l’on veut, très suffisant, il a commencé, pourtant, à l’exemple de son père, par n’être pas un chrétien très fervent. La précocité de son génie scientifique l’emporte sur tout le reste ; « bornant » tout d’abord « sa curiosité aux choses naturelles, » son ardeur de connaître, de chercher, d’inventer, de comprendre était incroyable ; et chacun autour de lui, à commencer par son père, tout fier d’avoir un tel fils, s’entendait à encourager cette passion des certitudes rationnelles. A seize ans, il est considéré comme un jeune maître par les plus grands savans de l’époque, Roberval, Fermat, Desargues ; il compose un Essai pour les coniques qui contient un théorème auquel il a laissé son nom, et « qui passa pour un si grand effort d’esprit, qu’on disait que, depuis Archimède, on n’avait rien vu de celle force. » A vingt ans, il conçoit le principe d’une Machine arithmétique qui allait faire l’admiration des contemporains. Tout ce que le libido sciendi peut comporter de jouissances, Blaise Pascal l’a de bonne heure épuisé.

Si la science pure l’occupe surtout, elle ne l’absorbe pourtant pas d’une manière exclusive. La culture que lui avait donnée son père était fort suffisamment littéraire et philosophique. Nul doute qu’il ne se tînt au courant, et qu’il ne lût ce qui paraissait d’important, et probablement aussi quelques bons livres du