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sentimens. Suivant que le résultat qui va être proclamé sera favorable aux Unionistes ou aux Libéraux, l’écran se colore d’abord en rouge ou en bleu. Quand la coloration rouge apparaît, les applaudissemens éclatent. Quand c’est la coloration bleue, ce sont des grognemens. Mais quand les chiffres mêmes sont affichés et qu’une grosse majorité a marqué le triomphe du candidat unioniste, c’est du délire. On me dit, ce matin, qu’il n’en a pas été ainsi partout, car il y a eu des rassemblemens dans tout Londres, principalement devant les bureaux des grands journaux. A Fleet street en particulier, devant les bureaux du Daily Chronicle, qui est un des rares journaux radicaux de Londres, les radicaux et les socialistes s’étaient donné rendez-vous et les démonstrations auraient été en sens inverse de celles dont j’ai été témoin à Trafalgar Square. Mais que la foule, en majorité, soit conservatrice à Londres, cela n’est pas douteux et ce n’est pas de cette immense métropole que partira le signal de la révolution qu’on prévoit et qu’on redoute tellement en France.

Nous restons là très longtemps, échangeant des propos avec nos voisins. Près de nous est un jeune homme qui tient en main une liste où sont consignés les résultats des élections dernières. A chaque résultat nouveau qui apparaît sur l’écran, il compare avec les résultats anciens et se réjouit de constater le nombre généralement plus considérable des voix unionistes. Beaucoup de jeunes gens comme lui dans cette foule, et cela me confirme ce qui m’a été dit, d’autre part, que les tendances d’une partie de la jeunesse sont beaucoup plus conservatrices que libérales. N’en est-il pas ainsi un peu en France ? Dans un coin de Trafalgar Square le Pall Mall Gazette a préparé un tableau où seront portés seulement les Gains et les pertes de chaque parti. Vers minuit, le tableau porte : Gain des Unionistes 11. Gain des Libéraux 2. C’en est assez pour nous indiquer dans quel sens va le courant et, comme il fait froid et humide, nous prenons notre parti de rentrer à l’hôtel. Mais la foule ne se décourage pas. Patiente et bruyante à la fois, elle demeurera debout, les pieds dans une boue glacée, jusqu’à ce que les derniers résultats soient proclamés, c’est-à-dire jusqu’à deux heures du matin.

Pour avoir les résultats complets de la première journée de vote, il faut que je consulte ce matin les journaux ou plutôt le journal. Je pensais que, vu la gravité des circonstances, au moins quelques-uns des grands journaux de Londres feraient paraître