Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propos que j’entendais tenir à M. le Duc d’Aumale, il y a bien longtemps déjà, demeure-t-il vrai : « Depuis ma jeunesse, disait-il, j’entends parler de la décadence de l’Angleterre. J’en suis encore à attendre les premiers symptômes de cette décadence. »


Samedi 15 janvier.

Hier, journée de repos. J’ai déjeuné au Brook’s Club, l’ancien club des Whigs, que les parties de jeu de Fox ont rendu autrefois célèbre, avec un très aimable Anglais : que j’ai connu autrefois à Paris quand nous étions jeunes tous les deux (ce n’est pas d’hier) et avec un pair libéral qui paraît soucieux. Il croit au succès de son parti, mais il croit que les Libéraux, revenus au pouvoir, auront de la peine à s’entendre pour gouverner et il prévoit pour le printemps des élections nouvelles, d’où, pour l’Angleterre, une longue période d’agitation qui l’inquiète.

Le soir, j’ai eu le plaisir de dîner chez, lord Reay, mon confrère, le membre étranger de l’Académie des Sciences Morales, dont l’admirable français me fait rougir de mon très médiocre anglais. Charmant et intéressant dîner, où je rencontre un économiste anglais, ancien ami de Gladstone, grand partisan du Free Trade, et la veuve de l’éminent historien Lecky que j’avais déjà rencontrée sur le continent. On me gâte en me parlant français et j’abuse de l’inépuisable obligeance de mon hôte pour me faire expliquer beaucoup de choses.

Aujourd’hui commence la bataille. Les journaux d’hier et ceux de ce matin publient un dernier manifeste signé à la fois de Balfour et de Chamberlain où ils affirment que le prix de la nourriture populaire ne sera pas augmenté par le Tariff Reform. Quelques-uns trouvent qu’ils auraient dû dire cela plus tôt. M. Winston Churchill, de son côté, demandé aux « lecteurs de Manchester de frapper un grand coup pour le « libre-échange, la terre et la liberté. » Les journaux contiennent également un pressant appel à tous les propriétaires de véhicules quelconques et en particulier de moto-cars pour qu’ils les mettent à la disposition des comités de leur parti. Cette question du transport des électeurs joue un grand rôle dans les élections, mais principalement à la campagne. Je m’en vais avec le regret de n’avoir pas vu une élection rurale où, le jour du vote est, dit-on, un des plus curieux. A Londres où, dans