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plus cher sa nourriture s’il a du travail et si ses salaires sont plus élevés. Nous sommes surtout frappés de l’intelligence d’un vieil ouvrier, aux yeux brillans, qui a travaillé en pays étranger, répond du tac au tac aux argumens du canvasser et ne se laisse pas démonter un instant. Avec un air de protection il l’appelle ; my boy. « Celui-là est un black leg, nous dit notre guide avec découragement. Il n’y a rien à faire avec lui, il ne fait partie d’aucune Trade Union. » De la question constitutionnelle, des libertés de l’Angleterre menacées par la Chambre des Lords, il n’a pas été jusqu’à présent une fois question, je dis pas une fois, et cela montre combien, au moins dans les milieux populaires, la question du Tariff Reform prime toutes les autres. Étonnés, nous posons nous-mêmes la question « Que pensez-vous des Lords ? » « Je n’ai rien contre les Lords : que ferions-nous sans eux, » répond le charpentier. » Et les autres, qu’en pensent-ils, » demandons-nous ? — « Les autres, ils pensent surtout à eux-mêmes. » — Et, comme nous insistons un peu : « J’aime deux choses, dit ce brave homme, d’abord le Roi, ensuite les Lords. » Notre canvasser libéral paraît un peu découragé : voilà une vingtaine de maisons que nous tenons. Il se fait tard, et j’ai donné rendez-vous à neuf heures, à Charing Cross Hotel, au colonel de l’Armée du Salut, qui doit être mon guide. J’abandonne mes deux compagnons qui, mourant de faim, restent dans le quartier pour dîner, et je prends un bus qui me mènera tout droit à Charing Cross.

Mon colonel m’attendait ponctuellement à Charing Cross Hôtel. C’est une vieille connaissance pour moi, car il y a trois ans, nous avons déjà fait ensemble une tournée dans Londres dont j’ai rendu compte dans un journal. Je me repose un quart d’heure au bar, en prenant deux sandwiches et un verre de bière, et pendant ce temps-là, mon guide m’explique ce que nous allons faire. Je lui dis qui ce qui m’intéresse ce sont les sans-travail. Il sait que je voudrais en voir le plus grand nombre possible. Aussi, me propose-t-il de me mener d’abord aux environs de Drury-Lane voir ce qu’on appelle the King’s tent, c’est-à-dire une tente où l’on reçoit un certain nombre de sans-travail. Puis nous descendrons sur les quais de la Tamise où se rassemblent les sans-travail dont l’Armée du Salut prend soin ; nous irons les voir manger la soupe et se coucher. Ainsi soit fait. Nous parlons.