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dans un bâtiment qui appartient aux Quakers, the Friend’s Institute. Sur les murailles sont peints, en lettres d’or, des versets tirés des Psaumes de Jérémie, d’Ezéchiel. Mais elles sont momentanément décorées ou plutôt déshonorées par des affiches, toutes dirigées contre les Lords. Une immense caricature représente un vieux Lord, avec un manteau rouge, une couronne de pair sur la tête, et qui déchire une grande feuille de papier. Cette feuille de papier, c’est la Constitution. D’autres affiches sont plus directement encore tournées contre eux. « Les Lords contre le peuple. » « Les Lords veulent taxer la nourriture du pauvre. » C’est contre les Lords évidemment que la réunion va être dirigée. La salle est boudée. Les galeries supérieures sont remplies également. Il y a du monde debout dans les couloirs. L’auditoire me semble surtout composé d’ouvriers aisés, de petits bourgeois. Pas de femmes : on a peur des suffragettes.

Enfin M. Winston Churchill arrive. A son entrée, qui a lieu aux sons de l’orgue, il est salué par des acclamations enthousiastes ; chapeaux levés en l’air, mouchoirs agités ; je me crois encore à Bath ou à Brighton, mais l’ensemble de ces acclamations, dans une ville où la majorité appartient assurément aux Unionistes me montre que la réunion est aussi une réunion truquée. M. Winston Churchill s’assoit, ayant à ses côtés sa femme ; après vient sa belle-mère, puis son beau-frère. A la prochaine réunion, unioniste ou libérale, je m’attends à voir aussi les enfans avec leur bonne. Le chairman prononce un petit discours, très court, où il remercie Mrs Winston Churchill de sa présence et de l’appui qu’elle prête à son mari dans la campagne électorale. On applaudit, et Mrs Winston Churchill, un peu pâle, salue avec grâce. Puis M. Winston Churchill se lève. Nouvelle tempête d’applaudissemens, et l’assistance entonne l’air : « He’s a jolly good fellow, » et l’orateur commence.

Quelques minutes d’attention suffisent pour me convaincre que lui aussi est orateur. La voix est claire et sonore, malgré un léger embarras de prononciation, le geste fréquent, ample et expressif, « le geste qui achève la parole, » disait Lacordaire. Tantôt, par une habitude assez fréquente évidemment chez les orateurs anglais, car je l’ai remarqué plusieurs fois, il prend à deux mains, dans les momens familiers, les revers de sa redingote. Tantôt, quand il développe le programme du futur gouvernement libéral, il étend la main en avant, comme s’il