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un programme, absolument comme pour un concert ordinaire, un recital de quelque artiste en renom. A la première page, un portrait de M. Asquith. A la seconde ; le texte des deux résolutions qui seront votées, chaque résolution étant proposée par un mover et appuyée par un seconder, ce qui donne matière à quatre discours. La résolution principale est dirigée contre la Chambre des Lords. La réunion s’engage à soutenir M. Asquith dans sa résistance à l’attaque des Lords contre les droits de la Chambre représentative et à faire triompher, une fois pour toutes, le principe que, dans tout ce qui concerne la politique financière, la volonté du peuple, telle qu’elle est exprimée par la Chambre des Communes, doit triompher. À cette résolution, rien à dire, car c’est la question. Mais les chants de circonstance que je lis à la troisième page et qui ont été adaptés sur des airs populaires dont l’un ressemble à celui de : « Malbrouk s’en va-t-en guerre, » me paraissaient un peu violens. L’une de ces chansons invite les Lords à payer leur part des impôts et dit qu’on ne les laissera continuer à jouir de leurs rentes que s’ils contribuent à remplir les coffres de la nation. Une autre demande « the land, the land, the land ; la terre, la terre, la terre. » « Dieu est avec nous, dit le refrain, car Dieu a fait la terre pour le peuple » et ce chant où les socialistes invoquent le nom de Dieu n’est pas sans beauté. Cette question de la terre va évidemment jouer un grand rôle. A l’affiche dont j’ai parlé et qui représente un ouvrier demandant du travail, les Libéraux se préparent à en opposer une autre qui va paraître ces jours-ci et que leurs journaux reproduisent déjà. Dans le fond, on voit un grand château à tourelles, et à côté, une chaumière misérable : sur le devant, un paysan en guenilles s’écrie, en levant les bras au ciel : « We want land ! » Il est certain que ces immenses domaines possédés par les Lords, cette absence presque complète de toute petite propriété, soulèvent des questions redoutables. Latifundia perdidere Italiam, nous enseignait-on autrefois. Il serait curieux que les latifundia perdissent l’Angleterre. Plaise à Dieu qu’il n’en soit rien ! Mais, quelles que soient mes sympathies pour les Lords, je quitte Bath avec des impressions assez pessimistes à leur point de vue. Il est vrai que je n’ai jusqu’à présent entendu qu’une cloche : la cloche libérale, vigoureusement sonnée par M. Asquith. Ce soir même à Brighton, avec lord Curzon, j’entendrai un autre son.