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cependant un certain nombre, qui probablement ne sont pas électeurs, assez déguenillés. Les femmes sont affreusement mal mises, avec de vieilles nippes défraîchies et une fois de plus je constate combien, dans les rangs du peuple, et en particulier parmi les femmes, la race paraît plus rude, plus grossière, moins affinée. Les candidats sont acclamés et saluent la foule, tandis que je garde mon chapeau sur la tête, car, en bonne conscience, je ne peux pas prendre ces acclamations pour moi. Mais je me fais cette réflexion qu’en France un candidat n’oserait pas amener dans sa voiture un Anglais à une réunion. On dirait qu’il est payé par l’Angleterre. En approchant de la salle de réunion, nous entendons des chants. Il y a en effet un programme musical, sur lequel je reviendrai tout à l’heure, et la foule, tant au dehors qu’au dedans de la salle, prend patience en chantant. On m’introduit par les derrières du bâtiment et on m’installe sur l’estrade, en nombreuse compagnie. La réunion a été organisée par la Western liberal Federation et les membres les plus importans de la ligue sont sur l’estrade, avec des insignes à la boutonnière. Un grand nombre portent une fleur rouge. La salle est décorée de drapeaux et de banderoles, sans beaucoup de goût. Dans une petite tribune, se tient un orchestre, prêt à jouer.

A huit heures presque exactement, M. Asquith fait son entrée. Tempête de cris, d’applaudissemens, mains levées en l’air, mouchoirs et chapeaux agités. Il y en a pour plusieurs minutes avant que le chairman, un membre sortant du parlement, un baronet, puisse lui donner la parole. On chante un air que j’entendrai désormais plus d’une fois : « He’s a jolly guod fellow. » L’homme est évidemment très populaire dans son parti.

Comme orateur, M. Asquith n’est pas précisément éloquent au moins ce soir n’a-t-il pas essayé de l’être, et l’on me dit que c’est ainsi qu’il parle habituellement. Mais la parole est nette, claire, sans emphase ; la voix forte, bien timbrée, plutôt agréable ; on a tout de suite le sentiment que l’homme sait ce qu’il veut dire, qu’il le dira, et que rien, ni personne ne l’en empêcheront. Je dois reconnaître que son discours n’a rien eu de démagogique. Il ne parle pas des Lords sur le ton dont en a parlé M. Lloyd George. A vrai dire, il ne traite presque pas la question constitutionnelle et il y a peu ou point d’idées générales dans son discours. C’est plutôt une réponse à un discours