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paletot jaune assez sale et qui m’a semblé être un courtier électoral à gages (il était venu sur le siège de la voiture), les deux candidats prennent successivement la parole. Ils parlent très simplement, les mains dans leurs poches, ou derrière le dos, sans aucune recherche d’éloquence, et sans aucune violence de langage. Ils critiquent l’attitude de la Chambre des Lords à laquelle ils reprochent d’être systématiquement hostile à toute mesure proposée par un gouvernement libéral, mais ils ne font usage d’aucun argument démagogique et n’imitent pas l’exemple qui leur a été donné de haut. De même, ils objectent au Tariff Reform qu’il fera hausser le prix des denrées nécessaires à la vie, sans diminuer le nombre des unemployed, des sans-travail ; mais ils discutent cette question, comme on discuterait une thèse d’économie politique, sans la moindre déclamation contre les patrons et le capital. L’un des deux candidats se défend même expressément d’être socialiste. Pendant qu’ils parlent, j’examine la physionomie de leurs auditeurs. Ce sont tous des mécaniciens, des chauffeurs, des ajusteurs. Ils sont en vêtemens de travail et ont pour la plupart les mains noires. Impossible d’imaginer un auditoire plus démocratique d’aspect. On se croirait au Creusot ou à Anzin. Cependant, ils écoutent paisiblement, presque avec indifférence. Quelques : hear, hear ; à la fin, d’assez maigres applaudissemens, et c’est tout. On sent que leur opinion est faite, qu’ils sont hostiles au Tariff Reform, comme au reste presque tous les Railway men et qu’ils voteront pour les deux candidats qu’ils connaissent et qui leur sont sympathiques. Mais je ne découvre pas sur leurs visages la moindre trace de passion. Ils n’ont pas été remués.

J’achève mon après-midi en me promenant dans les rues. Bath est à présent une tranquille ville de province, à l’aspect un peu vieillot. Elle était autrefois un lieu d’eaux très fréquenté. Elle me paraît quelque peu déchue de son élégance, bien qu’il y ait encore un magnifique établissement de bains qu’on m’a fait visiter. Aujourd’hui, les Anglais qui ont des rhumatismes vont se faire soigner à Aix où ils trouvent plus de distractions. Bath ne doit pas en offrir beaucoup. Je parcours la ville en quête d’affiches, car l’affiche est en Angleterre bien plus qu’en France un grand moyen de propagande électorale. J’en vois moins que je ne m’y attendais, encore un signe que les passions ne sont pas aussi surexcitées que nous le croyons en France. Les