Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/518

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’annoncer que M. de Champagny[1]venait de lui dire que l’Empereur avait modifié son traité en notre faveur, et qu’il avait consenti à passer les millions qu’il te doit en déduction de sa créance. Je t’annonce avec grand plaisir cette amélioration dont Campo-Chiaro te donne les détails. Je pense que ce que j’ai dit à l’Empereur a fait quelque impression sur son esprit et qu’il est revenu tout de suite à des sentimens plus favorables. » Voilà un exemple de ce que l’Empereur concédait parfois aux instances de sa sœur, sans vouloir s’en donner l’air.

Les difficultés entre les deux États n’en restaient pas moins incessantes, multiples, et naissaient de toutes les affaires engagées. L’expédition de Sicile donne à la Reine mille soucis. D’abord, elle a poussé Murat à brusquer l’entreprise et à faire vite : « Prends la Sicile, prends-la vite, car on pourrait bien la sacrifier à la paix. » Maintenant, elle se demande si elle a bien fait d’inciter l’ardeur conquérante de son mari, car l’Empereur émet de forts doutes sur la possibilité du passage en Sicile et un revers l’irriterait. L’affaire occasionne déjà des froissemens réciproques. Murat a été autorisé à tenter le passage dans le cas seulement où il disposerait de quinze mille hommes. Un officier français est chargé d’aller à Naples vérifier l’effectif, de tout examiner et inspecter. Murat supporte mal cette surveillance, ce contrôle, et, par l’entremise de sa femme, fait passer à Napoléon une lettre assez vive :

« Mon cher ami, répond la Reine, j’ai donné ta lettre à l’Empereur qui a beaucoup ri en la lisant et il m’a dit : « Ah ! le « voilà fâché contre moi, quelle drôle de tête ! Il se fâche de « tout. Je lui ai dit de ne pas faire d’expédition s’il ne pouvait « passer quinze mille hommes, par la raison que je craignais « qu’il ne passât avec trop peu d’hommes et qu’il ne s’exposât. « J’ai dit à l’officier de bien examiner Naples afin de lui envoyer « des secours s’il en avait besoin ; mais si l’officier a mal fait sa « commission, ce n’est pas ma faute, et il n’y a pas grand mal « à tout cela, et il n’y a pas de quoi se fâcher[2]. »

L’Empereur avait pris la chose en plaisantant, ce qui était peut-être une façon de cacher des intentions douteuses à l’égard de l’entreprise. Il prend tout différemment une autre incartade de Murat. En ce temps, Lucien, plus que jamais brouillé avec

  1. Ministre des Relations extérieures.
  2. 2 juillet 1810.