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Murat s’absenta de Paris et alla probablement dans le Lot, son pays natal, tandis que Caroline suivait l’Empereur d’abord à Trianon où il s’était mis comme en retraite, et puis à l’Elysée.

Pendant leurs séparations, les époux s’écrivaient régulièrement et plusieurs fois par semaine. Les lettres adressées par Caroline à Murat de 1810 à 1812 ont été conservées sans interruption ni lacune ; elles sont naturelles et simples, intimes, aisément écrites et par-dessus tout très féminines, avec leurs nuances de pensée et d’arrière-pensée. Il n’est guère de document qui nous fasse pénétrer plus avant dans la familiarité des Napoléons, dans le vif et l’instantané de leurs impressions, dans le courant de leur existence, dans le détail presque quotidien de leurs occupations, de leurs agitations et de leurs vicissitudes.

Pour correspondre, Caroline et Murat employaient la poste ou un service d’estafettes, mais tous deux savaient que ce mode de correspondance n’échappait nullement à l’universelle curiosité d’une police rien moins que scrupuleuse. Aussi, en dehors des lettres « où l’on ne pouvait rien dire, » Caroline en expédiait d’autres par voie sûre, par personnes lui appartenant ou attachées à la maison de son mari. Ces lettres mieux protégées conservent toute leur saveur d’épanchement et de confidence.

En janvier 1810 et pendant les semaines suivantes, lorsque Caroline écrit à son mari, elle emploie des termes simplement affectueux, ces assurances un peu banales qui, même en ménage refroidi, demeurent les formes de la politesse entre époux : « je partage bien sincèrement le désir que tu as de me revoir, et j’espère que cela sera bientôt… Adieu, mon ami, je t’embrasse… »

Les expansions ne vont guère plus loin. On sent que des nuages ont passé entre les époux et ne sont pas entièrement dissipés ; Caroline y fait parfois allusion, mais elle est bien trop fine pour récriminer aigrement et se répandre en importunes doléances : tout au plus se permet-elle des plaintes discrètes, enveloppées, et des reproches caressans. Par exemple, elle trouve que son mari ne lui écrit pas assez, prétend que d’autres à la place de Murat apprécieraient mieux le bonheur de l’avoir pour femme et s’efforce de le piquer au jeu : « Le roi de Bavière me disait hier que, s’il avait le bonheur d’être à la place du roi de Naples et d’être mon mari, il m’écrirait sans cesse soir et matin. »

Dans le courant de janvier, Murat revient à Paris. Le 29, il