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portait une affection également passionnée et plus virile : elle voulait les bien élever, leur inculquer des principes de morale et de bienfaisance[1] ; elle s’occupait de leur instruction avec le précepteur Baudus et se défendait de les trop gâter. Durant une absence, elle écrivait à son mari : « Embrasse bien les enfans pour moi, ne gâte pas trop Laetitia et Achille ; pense que les enfans ne sont pas au monde pour notre plaisir, mais pour les rendre heureux ; fais comme moi ; je me privais souvent de les voir de crainte de les gâter. » Sans cesse, elle pensait à leur avenir, qu’elle voulait grand et royal : « Je crois, disait-elle un jour, que le propre des mères est de vivre dans l’avenir de leurs enfans. »

Pour assurer l’avenir de ses enfans et les empêcher de déchoir, il importait de conserver à tout prix le royaume de Naples, trop souvent compromis par les imprudences et les fougues du père. A côté d’un héros à l’imagination errante, toujours prêt à courir la grande aventure, Caroline est une femme très pratique, d’esprit positif, dont l’attention sait se concentrer sur un principal objet. En vraie femme corse, elle se juge conservatrice du bien de famille, c’est-à-dire de l’établissement napolitain. Ce bien, l’Empereur l’a donné ; il peut le reprendre, si l’on provoque sa colère ; il faut donc obtempérer à ses exigences et entrer pleinement dans son système. Non que Caroline veuille s’identifier totalement à la fortune de son frère. Son but bien différent est de conserver Naples, quoi qu’il arrive. Seulement, comme l’Empereur aujourd’hui est sans contredit le plus fort, n’est-ce pas lui que l’on doit ménager et satisfaire, si l’on veut rester en place ? Pour Caroline, dans la crise permanente de l’Europe, en ce temps où les trônes s’élèvent et s’écroulent avec une égale rapidité, l’essentiel est de durer, de garder ce que l’on tient, afin qu’à toute éventualité, à toutes chances et combinaisons auxquelles donne lieu l’avenir, on puisse se présenter nanti, avantageusement situé, fort d’un état de possession. En tant que Murat se fera pareille conception de l’intérêt commun, il trouvera en sa femme une associée fidèle.

  1. Le 26 janvier 1810, elle écrivait à la petite Laetitia en lui recommandant de partager ses étrennes avec sa sœur de lait : « C’est un plaisir que je veux vous procurer, car on en éprouve un bien grand de faire le bien ; je vous réserve cette jouissance comme récompense et pour vous prouver combien je suis contente de vous. » Archives Murat.