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d’utilité publique, assainir et aérer, moralement autant que physiquement, un pays qui croupissait dans la pestilence des abus et la stagnation d’habitudes invétérées. Mais sa volonté d’agir et de régner, cette volonté impatiente, s’irritait des ordres impérieux de l’Empereur qui lui faisaient partout trouver sa limite.

A Naples comme en Hollande, comme en Espagne, avec la différence des situations et des tempéramens, le vice du système des rois frères s’était tout de suite accusé. En faisant rois trois de ses frères et son beau-frère, Napoléon avait voulu instituer en eux ses légats, ses hauts proconsuls, les agens de son autorité en pays trop lointains pour être gouvernés directement, des agens de francisation, des instrumens de sa guerre universelle contre l’Anglais. Seulement, par cela même qu’il leur avait conféré le titre souverain et la fonction héréditaire, il les avait éveillés à l’indépendance ; il les avait presque nécessairement obligés à s’incorporer au pays dont ils avaient reçu la garde, à vouloir s’y implanter, s’y enraciner, s’y populariser, par suite, à se dénationaliser en quelque façon et à soutenir l’intérêt de leurs sujets contre celui de la France, dès que l’un et l’autre se trouvaient en conflit. Sous l’inspiration et probablement sous la dictée de l’Empereur, Berthier écrivait à Murat, son grand ami : « Pour vos sujets, soyez roi ; pour l’Empereur, soyez un vice-roi[1]. » Précisément, c’est ce dédoublement qui est impossible ; les deux termes s’opposent ; on ne peut être à la fois sujet et roi : on n’est pas roi pour obéir, voilà la pensée foncière de Murat, celle qu’il criera dans un jour d’exaspération et de franchise.

Or, c’est en toutes choses que l’Empereur prétend assujettir à l’intérêt français le roi et le royaume de Naples ; il exige d’eux de l’argent, beaucoup d’argent, des hommes, des marins, des vaisseaux ; il entend que le royaume s’ouvre largement aux produits français et ne fait qu’entr’ouvrir l’Empire aux produits napolitains ; il presse l’application du blocus continental. A ces exigences, Murat résiste et se dérobe, encore qu’il se confonde en protestations de dévouement. Ses doléances ne lui attirent que de dures réprimandes ou des ordres de service[2]. Il sait d’ailleurs

  1. Lettre du 5 mai 1809. Archives Murat.
  2. Sur ces démêlés, voyez spécialement l’ouvrage de M. Frédéric Masson, Napoléon et sa famille, t. IV, V, VI et VII, et celui de M. J. -E. Driault, Napoléon en Italie, ch. XXI.