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cette horrible Espagne où il n’avait trouvé qu’insurgés à fusiller, populations à mitrailler, combat de rues, guerre traîtresse et climat épuisant, il était revenu déçu, souffrant, dolent ; il lui avait fallu repasser en litière de malade cette frontière qu’il avait franchie naguère au pas de son cheval de bataille. A la fin de 1808, lorsque l’Empereur lui-même s’était enfoncé périlleusement en Espagne, les hauts intrigans de Paris, Fouché, Talleyrand et d’autres, avaient fait entrer dans leurs prévisions l’embuscade meurtrière au détour de quelque Sierra castillane ou la balle assassine. Pour le cas où l’Empereur périrait, ils avaient ébauché un gouvernement de rechange ; au sommet de cette vague construction, ils avaient pensé à placer Murat et à présenter aux Français ce héros décoratif. Murat avait eu vent de cette intrigue, et peut-être un rêve fou l’avait-il effleuré. D’aucuns affirment qu’il avait ambitionné également la royauté de Hollande. En Italie, il se sentait à l’étroit dans son royaume de Naples et se laissait dire qu’un jour son autorité pourrait déborder sur la péninsule entière. En même temps, il se croyait en butte à des calomnies noires, supposait des trames destinées à le perdre dans l’esprit de l’Empereur, entretenait un peu partout des informateurs, se faisait envoyer des rapports, nouait des correspondances, se confiait à des agens suspects, s’alarmait des moindres indices, et son imagination effervescente grossissait les difficultés réelles de sa position à Naples.

Sincèrement, il voulait le bien de ses sujets, le bonheur de Naples. En ce milieu d’indolence, dans une cour divisée en étroites coteries, dans un gouvernement où il ne trouvait, en dehors de quelques Français, que souples intrigans ou solennels fantoches, il apportait des intentions larges, des dispositions vivifiantes. Tout de suite, le peuple l’avait pris en affection ; dans la mémoire du peuple, il resterait le beau et bon roi, le roi légendaire, le monarque initiateur. On aimait sa facilité de main, sa munificence somptueuse, son plaisir à faire des heureux, cette passion d’obliger qu’il avait eue en tout temps. Ses allures théâtrales et jusqu’à ce goût excessif pour le costume et le décor qui lui nuisait ailleurs, plaisaient à Naples. Ce n’était toutefois que l’un des côtés de sa nature. Il prenait très sérieusement son nouveau métier, travaillait beaucoup, s’appliquait, voulait rétablir les finances, introduire le code Napoléon, achever l’abolition du régime féodal, entreprendre des travaux