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opérations de guerre, sous l’Empereur généralissime, il semblait roi de la cavalerie.

Cependant, à considérer maintenant les apparences magnifiques de sa destinée, il avait toutes raisons de se satisfaire. Successivement général en chef de l’armée d’Italie, gouverneur de Paris, maréchal d’Empire, grand dignitaire, prince souverain, grand-duc de Berg, il venait d’être élevé au grade suprême et promu roi. En royal partage, il avait reçu le plus merveilleux site de la Méditerranée, Naples et le golfe splendide, les palais ouverts à la fraîcheur de la brise, les jardins embaumés, les terrasses peuplées de statues antiques, les marbres célèbres, tout ce décor d’art et de nature dont son âme de Latin goûtait l’enchantement. Plus pratiquement, un lot de plusieurs millions de sujets lui avait été attribué, la dépouille d’un Bourbon, avec l’espoir de doubler son royaume par la conquête de la Sicile. Il conservait à ses ordres une armée française, une colonie d’officiers et d’administrateurs français. A Naples, il avait brillamment débuté ; pour commencer, il avait débusqué de l’île de Capri une garnison d’Anglais dont la vue l’offusquait, atteint et vaincu l’insaisissable ennemi, dégagé sa capitale. Aux Napolitains, il avait offert comme premier spectacle mieux que le traditionnel feu d’artifice et ses banales fusées : une opération de guerre avec vraie canonnade, escalade et victorieux assaut ; il s’était accordé à lui-même ce don de glorieux avènement. A se remémorer ces circonstances, ces prouesses, ces résultats, il pouvait, même en ce temps d’affolantes fortunes, s’estimer l’un des favoris du sort.

Il est vrai qu’on n’est pas heureux par raisonnement ; on l’est par nature et tempérament. En dehors des champs de bataille où toutes les facultés de son être s’épanouissaient en une magnifique allégresse de combattre et de vaincre, Murat avait l’âme inquiète, le caractère tourmenté ; il se torturait lui-même d’ambitions et de soucis.

Si belle que fût la réalité, ses ambitions l’avaient dépassée. En 1807, pendant la campagne contre les Russes, il s’était vu en imagination roi de la Pologne ressuscitée, chef d’une nation à cheval, bottée, éperonnée, empanachée, dont l’allure et l’aspect répondaient à ses goûts. En 1808, lieutenant de l’Empereur à Madrid, avait-il convoité la royauté d’Espagne ? A tout le moins il avait rêvé un rôle de triomphateur pacifique, et de