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brutale, M. Théotokis a bondi : il s’est levé et s’est retiré suivi de tous ses amis. Croit-on que le ministre de la Guerre ait été ému de cette sortie ? Point du tout : il a déclaré qu’il ne s’en souciait nullement et que tous les députés pouvaient s’en aller de même si cela leur convenait, car ce n’était pas pour eux qu’il parlait, mais pour les tribunes. Nous avons dit qu’elles étaient occupées par les militaires. Là-dessus, M. Rhallys s’est levé à son tour et s’est retiré avec ses amis. Après cette double épuration, la salle se trouvant vide, le Président a levé la séance : que pouvait-il faire de mieux ?

Mais il était plus facile de la lever que de la reprendre. M. Théotokis, atteint dans sa dignité, a déclaré qu’il ne consentirait à siéger que lorsque le ministre de la Guerre aurait donné sa démission. On a essayé de le fléchir, il s’est montré intraitable et le ciel a commencé à devenir menaçant. La Ligue militaire a pris, en effet, parti pour le ministre : elle a déclaré, qu’elle n’accepterait pas sa démission s’il la donnait. La situation aurait pu se prolonger longtemps de la sorte sans se dénouer, lorsque la Ligue militaire, sans qu’on puisse savoir au juste si elle obéissait à une indignation sincère ou si elle cherchait seulement un biais pour se tirer d’affaire, a déclaré que le colonel Lapathiotis n’était pas seulement coupable envers la Chambre, mais encore envers elle, ce qui était infiniment plus grave. Qu’avait donc fait l’imprudent ? Il avait fait paraître au Journal officiel une promotion qui n’avait pas été soumise à l’agrément préalable de la Ligue. Peut-on dire plus clairement que le gouvernement n’appartient pas au ministère, mais à la Ligue elle-même ? L’armée attache partout une grande importance aux promotions qui sont faites dans son sein, et cette préoccupation est particulièrement sensible dans l’armée grecque. Le colonel Lapathiotis ne s’était pas oublié ; il s’était donné de l’avancement à lui-même, ce qui était sans doute très juste ; mais, n’ayant pu en donner à tout le monde, il avait fait beaucoup de mécontens. Enfin, il avait manqué à l’autorité de la Ligue et au respect qui lui est dû. Voilà pourquoi il a été sacrifié. S’il y a eu là, par accident, une satisfaction pour M. Théotokis, tant mieux, mais ce n’est pas à lui qu’on a songé. La Ligue a tenu à publier un communiqué officiel dans lequel elle a pris à son compte la responsabilité de la démission imposée par elle seule au ministre de la Guerre, dont le président du Conseil, M. Mavromichalis, a été chargé de faire l’intérim. Naturellement, la promotion qui avait déplu a été supprimée. Est-ce tout ? Pas encore. Mise en goût par cette première exécution, la Ligue en a fait aussitôt une seconde. Elle a inauguré l’année nouvelle