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Il n’est pas sur ([lie le parti militaire soit uni, et, le jour où il serait au pouvoir, il se diviserait certainement. La révolte de Typaldos, quoique rapidement réprimée, a montré qu’il y avait là des mécontentemens et des jalousies dont le retour agressif est encore à craindre. Mais la force, jusqu’à nouvel ordre, n’en reste pas moins à l’armée, et, comme l’armée ne rencontre nulle part une limite ou un contrepoids, elle est maîtresse de tout. Cette omnipotence a pris dans ces derniers temps un caractère plus impérieux, plus agressif, plus orgueilleux encore que dans le passé : la scène extraordinaire que le colonel Lapathiotis, ministre de la Guerre, a faite, il y a quelques jours, à la Chambre, en est une preuve éclatante. La Ligue militaire, certes, n’a pas à se plaindre de la Chambre. Celle-ci a fait exactement tout ce que la Ligue a voulu, et on rappelait l’autre jour qu’elle avait voté en quelques mois 163 fois qui toutes se rapportent plus ou moins à la régénération du pays et à la réforme de l’armée. Jamais encore, ni nulle part, pareille fécondité législative ne s’était vue. Le seul reproche que, au début, la Ligue militaire ait fait à la Chambre a été de voter sans discussion tous les projets qui lui étaient présentés. La Ligue, à ce moment, voulait encore se couvrir de certaines formes, et il lui déplaisait que la Chambre les négligeât ; mais à quoi bon discuter lorsque le vote est connu d’avance et qu’il n’est pas libre ? La Chambre, à notre avis, avait raison de ne pas se prêter à une comédie dont le secret était connu de tout le monde : puisqu’elle n’était plus qu’une machine à voter, il était naturel qu’elle volât comme une machine. À ceux qui lui auraient reproché sa passivité, elle aurait pu montrer ses tribunes bondées de militaires, placés là pour la surveiller et, au besoin, pour l’intimider. Dans ces conditions, que restait-il du gouvernement parlementaire ? Une ombre sur un écran. Nous n’avons jamais admiré la constitution politique de la Grèce ; c’est un grand déséquilibre pour un gouvernement parlementaire de n’avoir qu’une Chambre. Mais la Grèce d’aujourd’hui en a-t-elle même une ? Est-ce une Chambre qu’une assemblée qui vote sous l’épée de Damoclès ? Cette situation, en se prolongeant, a fini par causer à quelques militaires grecs, — nous ne voulons pas généraliser, — l’espèce de griserie que donne, le sentiment qu’on peut tout se permettre. C’est pourquoi le colonel Lapathiotis, ministre de la Guerre, au milieu d’un discours dans lequel il défendait la réforme militaire, s’est tourné vers M. Théotokis, ancien président du Conseil, et lui a dit : « Quand vous avez quitté le ministère, vous avez laissé derrière vous une armée en ruines. » Devant une attaque aussi