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d’indépendance et a revendiqué le droit de composer son ministère à son gré. Arrivé à Constantinople, il a été obligé de s’entendre avec le Comité et de subir ses choix. Il y a eu cependant un fait imprévu, qui fait honneur à Hakky bey, si c’est lui qui en a pris l’initiative, et s’il a eu assez d’autorité pour le réaliser : Mahmoud Chefket pacha, le chef de l’armée, le triomphateur qui a renversé Abdul-Hamid et qui préside depuis à l’exercice de- l’état de siège à Constantinople, après avoir résisté longtemps, a fini par entrer au ministère de la Guerre. Cela est bien, et il faut souhaiter le succès de Hakky bey. Et malgré tout, nous conservons nos sympathies à la Jeune-Turquie, parce qu’il est impossible d’oublier les hautes aspirations du début, le frisson d’espérance qui est passé alors sur la Turquie tout entière, et qui s’est communiqué à l’Europe, enfin ce qu’il y a eu de glorieux dans l’œuvre entreprise et d’honorable dans l’œuvre accomplie. Mais il faut dire la vérité à ceux qu’on aime, surtout à eux. Le gouvernement parlementaire est une belle institution quand il est sincère. Il y a cependant un principe supérieur à tout, c’est que dans un gouvernement, quels qu’en soient le nom et la forme, la responsabilité doit être là où est le pouvoir. C’est pourquoi nous nous applaudissons que Mahmoud Chefket pacha, qui est le pouvoir, en accepte enfin au moins une part de responsabilité.


Si on regarde maintenant du côté d’Athènes, on y retrouve avec une exagération fâcheuse les défauts que nous venons de signaler dans le gouvernement ottoman : le tableau est identique, avec agrandissement et surcharges. La révolution grecque n’a pas obtenu en Europe la même faveur que la révolution ottomane dont elle s’est peut-être inspirée, parce qu’elle a paru moins justifiée dans les causes qui l’ont produite, et qu’elle a été accompagnée de détails inquiétans. On l’a cependant accueillie sans malveillance, comme un fait initial dont il convenait d’attendre le développement et les suites. On a regardé : par malheur ce qu’on a vu n’a pas été édifiant. Les convenances sont encore un peu respectées à Constantinople ; à Athènes, non. Le pouvoir militaire s’y étale, s’y affiche, nous dirions loyalement, s’il acceptait la responsabilité de ses actes. Mais il les fait endosser par des ministres dont tout le rôle consiste à plier sous le coup de vent : aussi sommes-nous étonnés qu’il en trouve encore. Quant à la monarchie, hélas ! il en reste à peu près autant que du Palais royal qui vient d’être à moitié dévoré par les flammes. Les esprits superstitieux peuvent voir, dans cet incendie, un symbole.