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On a dit, sans en apporter toutefois la preuve, que la disgrâce d’Hilmi pacha avait encore une autre cause. Les odieux massacres d’Adana, qui ont coïncidé avec la chute d’Abdul-Hamid, sont présens à toutes les mémoires. Le bruit avait couru d’abord que le vieux sultan les avait ordonnés, mais l’enquête ne l’a pas confirmé et il semble bien que le mouvement ait été spontané : il s’est produit sur place sans aucune impulsion venue du dehors. Les victimes de ces tueries avaient été surtout des Arméniens. L’affaire ayant été portée devant une cour martiale, celle-ci a cru faire un sacrifice suffisant aux circonstances en condamnant en nombre égal des Arméniens et des Musulmans. N’était-ce pas une belle preuve d’impartialité, et qui donc aurait pu se plaindre de ce jugement à la Salomon ? Pourtant, le patriarche arménien a protesté, et même très hautement : il a déclaré qu’il donnerait sa démission s’il n’obtenait pas justice et a offert de prouver l’innocence des Arméniens condamnés. En d’autres temps, on n’aurait pas écouté sa plainte, on l’aurait étouffée. Hilmi pacha a ordonné une enquête nouvelle, d’où il est résulté avec évidence que les Arméniens étaient innocens, en effet. Ils ont donc été mis en liberté au lieu d’être pendus, et les Musulmans, au nombre de vingt-cinq, l’ont seuls été. Il en est résulté une grande émotion dans le monde musulman, où des procédés aussi nouveaux ont paru inadmissibles, et l’irritation a augmenté contre Hilmi pacha. Si les choses se sont passées comme on les raconte, elles font grand honneur à l’ancien grand vizir ; mais ce récit ne doit peut-être pas être accueilli sans réserves. Il est partout difficile de savoir la vérité, et en Turquie plus qu’ailleurs.

Hilmi pacha une fois démissionnaire, il a fallu lui trouver un successeur ; la chose était difficile, la succession étant lourde à porter. On a parlé d’abord de Saïd pacha, de Kiamil pacha, des sympathiques octogénaires ou nonagénaires auxquels nous avons fait allusion plus haut ; et qui sait si on ne reviendra pas un jour à eux, pourvu que Dieu continue de leur prêter vie ? Eux seuls, peut-être, ont une assez longue habitude de la docilité pour se prêter à toutes les fantaisies du Comité Union et Progrès. Pourtant on ne s’y est pas arrêté, et le grand vizirat a été offert à Hakky bey, ambassadeur à Rome, qui a demandé à réfléchir, mais ne l’a pas fait bien longtemps et a accepté. C’est un homme courageux que Hakky bey ! Il s’est rendu à Constantinople où le Comité, sans doute pour lui dorer la pilule et l’encourager, lui a ménagé une réception enthousiaste. Hakky bey aurait tort de se trop fier aux apparences, et sans doute il ne se fait pas beaucoup d’illusions. De Rome, c’est-à-dire de loin, il a montré quelques velléités