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une proposition en vertu de laquelle toute concession devrait être l’objet d’un projet de loi. Toute concession, c’est beaucoup ! On l’a senti ; on a parlé d’établir une distinction entre les grandes et les petites ; mais où sera la ligne de démarcation, et qui décidera si une concession doit être classée parmi les grandes ou parmi les petites ? Qu’adviendra-t-il enfin des moyennes ? Quoi qu’il en soit, l’affaire a été portée devant le Parlement et a été l’objet d’un débat très vif.

Sur le fond des choses, il semble bien que Hilmi pacha avait raison. Voici, en effet, quelle était la situation. Le service de la navigation du Tigre et de l’Euphrate avait été concédé régulièrement, en 1834, à une compagnie anglaise, qui l’assurait d’ailleurs assez mal, n’ayant pour cela à sa disposition que deux bateaux. Aussi une société ottomane s’était-elle formée à côté, mais elle était aussi très petitement outillée, ne disposait pas de plus de bateaux que la société anglaise et laissait en souffrance la navigation sur les deux fleuves. Alors est né le projet de fusion des deux compagnies, qui s’aideraient mutuellement au lieu de se faire concurrence et trouveraient des ressources nouvelles. Le projet a été soumis au Conseil des ministres qui l’a approuvé le 12 novembre dernier, mais ne l’a pas fait sans conditions. Il a exigé que la société concessionnaire, née de la fusion des deux autres, fût ottomane, que le capital de l’entreprise appartînt par moitié au gouvernement ottoman, enfin que le droit pour ce gouvernement de disposer en toute souveraineté des eaux du fleuve fût expressément réservé. Tel est, dans ses grandes lignes, le projet auquel Hilmi pacha a donné sa sanction, non sans rencontrer, dans le Conseil des ministres lui-même, des difficultés et une opposition qui devaient naturellement se reproduire à la Chambre. Là Hilmi pacha a maintenu très nettement, très fièrement son droit ; il a déclaré qu’il ne céderait pas, aimant mieux se démettre de ses fonctions que de les abaisser, et très probablement il aurait été renversé séance tenante sans la présence d’esprit du président qui a suspendu la discussion pour donner à tous le temps de réfléchir. La réflexion a eu de bons effets, Hilmi pacha a obtenu la majorité. Il semblait donc sauvé, mais on s’est aperçu bientôt qu’il ne l’était pas. Les intrigues contre lui ont continué avec plus d’ardeur que jamais. En fin de compte signification lui a été faite par Halil bey, représentant parlementaire du Comité, d’avoir à donner sa démission, faute de quoi il serait exécuté par la Chambre.

C’est ainsi que, autrefois, on envoyait à un ministre qui avait cessé de plaire le cordon avec lequel il dînait s’étrangler. Les mœurs se sont adoucies, le procédé est resté le même.