Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des hommes honorables sans doute et quelquefois sympathiques, mais qui semblaient médiocrement qualifiés, après une aussi brusque rupture avec le passé, pour représenter le présent et pour préparer l’avenir. Ces choix témoignaient une grande modestie de la part du parti vainqueur : il comptait des hommes d’action, on venait de le voir ; mais avait-il des hommes de gouvernement ? On n’en savait rien, il l’ignorait lui-même, et voilà pourquoi il a laissé ou rappelé successivement aux affaires plusieurs des grands vizirs d’Abdul-Hamid, se réservant toutefois le droit de les surveiller, de les contrôler et surtout de les remplacer. Aussi la plus grande mobilité n’a-t-elle pas cessé d’exister à la tôle du gouvernement. La Jeune-Turquie n’a pas encore trouvé son Washington. La nomination d’Hussein Hilmi pacha au grand vizirat semblait être un progrès opéré dans le bon sens. Quoiqu’il eût servi l’ancien gouvernement, Hilmi pacha avait montré de l’indépendance en même temps que de l’intelligence ; il avait fait ses preuves de capacité administrative ; il avait acquis une expérience précieuse ; enfin, relativement à quelques-uns de ses prédécesseurs qui avaient atteint l’extrême vieillesse, son âge semblait le recommander. On pouvait donc croire qu’avec lui, les choses marcheraient mieux et que le Comité Union et Progrès, désireux, de montrer que la révolution était finie, laisserait plus de liberté au pouvoir exécutif. Mais il n’en a rien été. Hilmi pacha n’a pas été mieux traité que ses devanciers, et finalement il a été obligé de donner sa démission. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas voulu abdiquer complètement entre les mains du Comité.

L’opposition contre Hilmi pacha a pris d’abord la forme parlementaire et il est regrettable qu’elle ne l’ait pas conservée. Le Parlement n’a pas, à Constantinople, beaucoup plus de consistance réelle que le gouvernement ; il obéit lui aussi, il doit obéir au Comité Union et Progrès ; mais c’est encore quelque chose que de ménager les apparences, et on ne l’a pas assez fait. Le mois dernier une discussion a eu lieu à la Chambre, au sujet de ce qu’on a appelé l’affaire Lynch. Il s’agissait de la navigation du Tigre et de l’Euphrate dont le gouvernement avait accordé la concession à une compagnie mi-partie ottomane et mi-partie étrangère, sans prendre l’agrément du Comité. Avait-il donc à le prendre ? N’avait-il pas toute liberté d’initiative en pareille matière ? Hilmi pacha n’avait-il pas fait ce crue tout ministre parlementaire aurait fait comme lui dans un autre pays ? Il semble qu’on ne puisse faire qu’une réponse à ces questions : ce n’est pourtant pas celle que le Comité y a faite. Emroulah effendi, député de Bagdad, a présenté