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à nous paraître bien orgueilleuses, ou peut-être mensongères. Ici, nous sentons que l’homme qui nous parle n’a jamais souffert ni joui, jamais vécu, pour son propre compte ; ce qu’il nous dit de sa charité ne nous choque pas plus que si un correspondant ordinaire nous renseignait sur sa santé ou sur la réussite de ses entreprises. Et toujours, dans cette âme d’une limpidité enfantine, les soucis d’ordre général, les émotions causées par des spectacles de détresse, d’oppression, ou de révolte publiques tendaient à dominer la préoccupation des angoisses privées. Il écrivait, par exemple, le 25 décembre 1875 : « Cette bordure de deuil, autour de mon papier, est en souvenir de mon unique sœur survivante, dont je viens d’apprendre la mort. Elle avait été l’objet le plus chéri de mes affections d’enfant ; et il m’est impossible de ne pas m’affliger de son départ. Mais je trouve beaucoup de consolation à penser qu’elle était aimée et respectée de tous ceux qui la connaissaient, ainsi que, certainement, elle le méritait. Depuis trois années déjà, la conduite publique de notre nation a été si douloureuse et terrible pour moi, — dans mon impuissance absolue à arrêter la folie de la Cour et du ministère, — que je ne me sens plus la force d’en rien écrire… Les hommes et femmes de bien sont, chez nous, en si grand nombre que je suis persuadé que nous finirons par avoir un avenir meilleur ; mais je crains qu’il ne soit séparé du moment présent par une crise de lutte tout à fait effrayante. »

Le « radicalisme » politique dont la défense a toujours tenu une grande place dans la vie intellectuelle de Francis Newman n’était encore, lui aussi, que l’un des modes d’expansion de sa charité. Ses principes se résumaient uniquement dans l’appui donné aux faibles contre les forts, aux persécutés contre leurs oppresseurs. Pas une fois le gouvernement anglais n’a tâché à étendre les limites de l’Empire sans que l’on entendit se lever, — et souvent seule à protester parmi l’approbation ou l’indifférence générales, — la voix indignée du frère du cardinal Newman. Tour à tour, c’est au nom des Afghans et des habitans de la Birmanie, des Boers du Transvaal, des Indiens ou des Irlandais, que nous le voyons, dans ses lettres, se désolant de l’outrage infligé aux principes sacrés de la liberté et du droit humains ; et tels de ses gémissemens ont une telle grandeur pathétique, une intensité de pitié si brûlante pour les victimes, avec un si douloureux mélange de honte pour l’honneur national, qu’il est impossible d’y assister sans partager involontairement la passion généreuse qui les a inspirés. Citoyen du monde, Newman s’intéresse naturellement au martyre de toutes les nations enchaînées. Pologne ou Hongrie. Italie