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Newman ! Et que l’on ne se représente pas ce personnage éminemment original sous l’aspect d’un politicien ignorant et verbeux, tout adonné à la prédication de ses idées subversives ! C’était, au contraire, un esprit d’une curiosité universelle, une sorte de Pic de la Mirandole ou d’Incomparable Crichton, renouvelant parmi notre civilisation moderne le prodige de ces savans humanistes de la Renaissance pour qui nulle région des connaissances humaines de leur temps n’avait de secrets. A Oxford, déjà, son génie de mathématicien lui avait valu une célébrité presque égale, dans un autre genre, à celle de son illustre frère. Puis, tour à tour, les diverses langues l’avaient attiré, mortes et vivantes, si bien qu’il s’était amusé à traduire en grec Robinson Crusoë, à écrire des poèmes latins dans tous les mètres d’Horace, ou bien encore à publier des grammaires et des dictionnaires de plusieurs dialectes exotiques, arabes, kabyles, libyens, etc., toutes œuvres demeurées classiques, et où, sans doute, la sûreté de la science se trouve renforcée des mêmes remarquables qualités Littéraires qui nous apparaissent dans toute l’œuvre historique et philosophique de Francis Newman. Car il faut savoir que les mathématiques et la linguistique, à leur tour, n’ont été pour ce puissant cerveau que des passe-temps, et que c’est surtout dans l’histoire et l’économie politique qu’il a produit des ouvrages assurés de survivre, depuis son Europe de demain, à qui la profondeur des vues et l’élégante sobriété du style tiennent lieu, désormais, de ce qu’elle a perdu en actualité, jusqu’au cinquième et dernier volume de ses Mélanges et à son Abolition anglo-saxonne de l’esclavage noir.


Encore tout cela n’est-il qu’un honnête bagage d’homme de lettres, sans comparaison possible avec les titres immortels de la gloire de John-Henry Newman. Mais il y a eu, dans la nature et dans la vie du frère cadet, un autre élément dont il faut maintenant que je dise quelques mots : un élément supérieur à toute science comme à tout talent littéraire, et qui, malgré le contraste profond des deux frères et leur hostilité, commence déjà à entourer leurs deux fronts d’une même auréole. « Sans vouloir déprécier aucunement l’illustre cardinal, — observait naguère un écrivain religieux anglais, — on peut bien dire que, tandis que l’aîné des Newman a été un saint entre les murs d’un cloître, son plus jeune frère nous a donné le spectacle de la sainteté au plus épais de la mêlée humaine. » Oui, il suffit de parcourir les lettres de Francis Newman et les quelques témoignages recueillis, à son sujet, par M. Sieveking, pour constater que cet