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Dont le nom glorieux brille comme un flambeau,
N’a conquis de trophée à mes yeux aussi beau
Que le faisceau d’épis dont la pauvre demeure
Se réjouit un jour et se décore une heure.


DEUX PAUVRES


Ils sont jeunes ; leur âme a des fraîcheurs d’aurore.
Mais, depuis l’heure rose où le pinson pérore,
Où fuse l’alouette avec un cri d’espoir,
Jusqu’à ce que l’azur soit redevenu noir,
Un labeur rude est seul leur ressource suprême.
Séparer du lait tiède une onctueuse crème
Quand la lourde mamelle a livré son trésor ;
Pétrir et cuire un pain grossier dont tente encor
La savoureuse odeur dès que s’ouvre leur huche ;
Recueillir les produits du verger, de la ruche,
Dans le petit enclos que protège un vieux mur ;
Moissonner, vendanger, filer le chanvre mûr,
Et, plus tard, sous le toit qu’une treille enjolive,
Moudre l’orge et presser le raisin ou l’olive
Qui pleurent l’huile grasse ou le vin radieux,
Telle est leur vie. Au temps des innombrables Dieux,
Un Chanteur, parmi ceux qu’un siècle est fier d’entendre,
Eût célébré sans doute, en quelque églogue tendre,
L’exemplaire union de ce double destin
Et, sous la pureté d’un ciel grec ou latin
Saturé d’harmonie et vibrant de lumière,
L’eût consacrée avec sa grâce coutumière.
Hélas ! ma flûte indigne à présent ne sait plus
Offrir, comme en ces jours, ô Muse, où tu te plus,
Le mélodique encens dont la molle fumée
Ondulait vers la nue en spirale embaumée.
Et, bien que mes regards désormais indulgens
Riches de vrai bonheur trouvent ces indigens ;
Bien qu’heureux de leur joie et penché sur leur vie,
J’exalte une vertu que par instans j’envie,
A peine le roseau pastoral ose-t-il
Effleurer tant d’amour d’un murmure subtil.