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sur sa porte, devant un concierge qui fume sa pipe, devant une station de fiacres, montrez-moi cet épicier et ce concierge, leur pose, toute leur apparence physique contenant aussi, indiquée par l’adresse de l’image, toute leur nature morale, de façon que je ne les confonde avec aucun autre épicier ou avec aucun autre concierge, et faites-moi voir, par un seul mot, en quoi un cheval de fiacre ne ressemble pas aux cinquante autres qui le suivent ou le précèdent. »

Toutes les considérations précédentes concernent uniquement le témoignage normal et sincère, tel qu’il se présente dans les conditions ordinaires de la vie en général, et notamment dans la pratique judiciaire.


III

L’étude expérimentale du témoignage illustre, confirme et étend singulièrement les conclusions auxquelles l’observation clinique et médico-légale avait conduit, sur le même sujet, les experts et les aliénistes. Une conclusion générale et supérieure se dégage de toutes ces études : l’esprit humain est normalement incapable d’un témoignage fidèle et complet. Cette incapacité tient à des lacunes et des troubles de la perception et de la mémoire, à des erreurs spontanées ou provoquées de l’imagination, notamment à la tendance à la fabulation inventive, à des fautes de jugement et à l’influence de la suggestion personnelle ou étrangère.

Ces élémens d’erreurs, ces facteurs d’incertitude du témoignage, je les ai étudiés dans un mémoire sur la Mythomanie, dont il me faut ici résumer la substance.

J’ai proposé de désigner, sous le terme de Mythomanie, la tendance, plus ou moins volontaire et consciente, de l’esprit à l’altération de la vérité, au mensonge et à la fabulation. Et, au début de cette étude, j’ai montré que si la Mythomanie est, par définition, un état pathologique, il est cependant une période de la vie, celle de l’enfance, où elle représente un état physiologique, et résulte de l’exercice normal des fonctions physiques.

Soumise en effet aux lois générales de l’évolution organique, notre mentalité parcourt, dans son développement, les étapes successives accomplies dans le cours des âges par celle de nos ancêtres, et l’enfant des civilisations modernes, offre, dans ses