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germanique, ils se proclament à certains jours la plus pure des tribus germaniques. Évidemment ils ont beaucoup de l’humeur allemande. Au temps du Romantisme, lorsque le réveil des nationalités orientait les esprits vers le moyen âge, les Tegner, les Geijer fondèrent à Stockholm l’Union Gothique dont chaque membre devait prendre un nom de Viking. On s’abordait au cri de Hei ! que les étudians d’Upsal conservent encore ; et ces graves personnages, poètes, historiens, romanciers et bourgeois de conséquence, assis à un banquet fraternel, buvaient dans des cornes, et, à cheval sur leur chaise, faisaient le tour de la table en chantant. Vous ne vous représentez pas nos Chateaubriand, nos Lamartine, nos Hugo et nos Vigny dans ces exercices équestres. Mais vous ne voyez pas non plus Bossuet mettant un florin d’or dans la main du pasteur Jurieu et buvant à sa santé la rasade dont, à la taverne de l’Ourse-Noire, Luther défiait Carlostad. Cependant ces Germains se flattent aussi d’être avec les Danois les renégats du germanisme. Il ne leur a pas toujours déplu qu’on les nommât les Français du Nord. Ils reconnaissent dans l’épopée de Charles XII un extraordinaire amalgame de l’esprit des vieilles sagas et des tragédies françaises. « Les adversaires de la culture latine, s’écrie Heidenstam, la combattent chez nous comme on combattait Bonaparte, avec un mélange d’admiration et de dénigrement. » En fin de compte, que sont-ils ? »

Je ne sais pas, dans cet ordre d’idées, de page plus dramatique que celle dont ce même Heidenstam commence son opuscule intitulé Classicisme et Germanisme. Il lui souvient d’un soir de son enfance, d’un soir d’automne où sa famille était réunie autour de la lampe et où il s’amusait sur la table d’acajou à disposer en rangs de bataille deux armées de bouchons casqués de capsules rouges et bleues, l’une représentant les Français, l’autre les Allemands. Au dehors, l’impénétrable nuit de septembre, pleine de bruissemens et de coups de vagues. Les roues d’une voiture grincèrent dans l’allée des trembles ; et un serviteur entra avec des lettres et un journal encore humide, d’où un papier blanc, imprimé de lettres grasses, tomba sur la table. « Le Roi était-il mort ? Déjà, l’hiver précédent, il avait coutume au théâtre de se reculer le plus possible dans sa loge, pour que la lumière n’éclairât pas ses traits émaciés et ses cheveux, soudainement blanchis… Quelqu’un prit le papier, le déplia