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piocher son français dans les romans de Paul de Kock ; le romaniste qui vient de [tasser sa thèse, Des différentes époques de la Poésie provençale jusqu’à la mort de Louis le Débonnaire : il porte haut la tête ; il est chevaleresque ; il s’agenouille devant sa fiancée dont les mains émues lui essaient sa couronne de lauriers. Celui-là existe toujours, car les Suédois sont aussi férus que les Allemands de notre moyen âge ; et cet engouement, que renforça l’influence considérable de Gaston Paris, les a pour longtemps détournés de notre littérature classique, vivante et vraiment profitable. Les Allemands du moins y font des incursions dont quelques-unes ont enrichi la critique européenne. Pour ne citer qu’un exemple, il me semble que, dans un pays qui a subi plus fortement qu’aucun autre le despotisme sentimental de Jean-Jacques Rousseau, ses œuvres offriraient à la jeunesse érudite une matière aussi instructive que le Roman de la Rose ou que les vers équivoques du bon Crétin.

Mais ceux dont les livres humoristiques évoquent les temps héroïques de la Bohème upsalienne insistent de préférence sur les Ofverliggare dont il ne reste aujourd’hui que de vagues épaves. C’étaient les étudians de la quarantième ou de la cinquantième année, vieux routiers de l’ivrognerie, échassiers marécageux qui circulaient à travers Upsal, familiers avec toutes les bornes et tous les pavés glissans, incapables de quitter cette ville, la plus agréable des prisons pour dettes. Leurs prouesses sont d’une incontestable monotonie. C’est à peine si quelques inventions drôles dérident de loin en loin l’auditeur ou le lecteur. L’un d’eux, préparateur au baccalauréat, n’avait-il pas imaginé d’enseigner l’orthographe à ses élèves en leur faisant corriger les lettres de sa fiancée ?…

Les fiancées apparaissent quelquefois. On aperçoit, à travers la fumée des pipes et le cliquetis des verres, leur silhouette d’ombre penchée sur un ouvrage d’aiguille, derrière la fenêtre fleurie d’une maison provinciale ou d’un vieux presbytère. Mais point de Mimi, ni de Musette. Rien ne déguise ou n’idéalise les premières ardeurs des sens. Les bonnes fortunes des étudians ne sont que des rencontres furtives avec les servantes plus ou moins accortes de leurs professeurs et des idylles rapides sous des portes cochères. Geijerstam nous dit très justement qu’on ne peut toucher la question femme devant eux sans que leur visage ne se contracte d’une gêne douloureuse. Ils sont à la fois