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n’est pas de pure origine suédoise. La même infirmité se trahit dans l’imagination des écrivains et des poètes. Elle est ingénieuse et fine. Elle manque d’ampleur. Ils ne perçoivent que rarement ces rapports imprévus et saisissans entre les choses les plus lointaines, qui font les grandes images et qui ne sont que des généralisations hardies. Excellens dans la courte poésie lyrique, ils s’épuisent vite au cours d’un long poème ; et, en général, leurs romans ne valent pas leurs nouvelles dont un si grand nombre sont de purs chefs-d’œuvre.

Mais la difficulté de composer et de mouvoir de larges sujets et de lourdes connaissances se complique, chez, le Suédois, d’une inquiétude intellectuelle dont sa marche est perpétuellement déviée ou ralentie. Il ne se spécialise que sur le tard ; et les programmes de l’Université encouragent son incertitude. Je me rappelle un entretien avec le poète Oscar Levertin qui avait enseigné à Upsal, qui était alors professeur à Stockholm, et en qui la Suède, encore émue de sa mort subite, a perdu son meilleur critique. Il venait de lire les deux premiers volumes de la Correspondance de Taine ; et il débordait littéralement d’admiration : « Quelle conscience ! me disait-il. Quelle dignité ! Et quelle institution que votre ancienne Ecole Normale ! Non, nous n’avons rien qui y ressemble ! Voyez nos étudians d’Upsal : considérez la variété de leurs objets d’études et la dispersion de leur activité. Le même jeune homme se pousse en sciences naturelles, en allemand et en littérature. Un autre poursuivra les mathématiques, le français et l’histoire. Et nous osons vous traiter de peuple superficiel ! Mais superficiels, c’est nous qui le sommes, nous qui, avec un peu d’allemand, un peu d’anglais, un peu de français, ne savons causer de rien et ne possédons rien à fond. »

Je tiens compte de l’exagération naturelle aux entretiens familiers. D’ailleurs, ce n’est pas une boutade de Levertin qui nous découvrira les raisons profondes de la faiblesse d’Upsal. Mieux vaut interroger Heidenstam, un des plus beaux talens de la Suède, le plus lumineux peut-être et le plus compréhensif. Poète, romancier, essayiste, nul, de l’avis unanime, n’a exploré comme lui les « passages secrets » du génie de sa race. Pareil à Snoilsky[1], mais plus magnifiquement doué, après avoir couru en païen les pays du soleil, la Grèce, la Syrie, la Palestine,

  1. Voyez, dans la Revue du 15 décembre 1907, Au cœur de l’Hiver suédois.