que dans les pays protestans ; et la Suède est le pays le plus protestant du monde. Nous sommes honnêtes. Le probabilisme des Jésuites ne nous a point gâtés. Nous sommes très honnêtes. » Comme cet homme avait vécu la moitié de sa vie en France et que je ne lui supposais aucun motif de me désobliger, j’en conclus que l’honnêteté suédoise devait être d’une essence spéciale, ou qu’il comprenait sous ce mot un groupe de vertus rares. Dans la suite, je reconnus qu’il m’avait simplement énoncé un des dogmes, sinon indiscutables, du moins indiscutés, où se fonde l’optimisme suédois.
Quelquefois cependant un audacieux, un aigri, toujours un isolé, rompt ce parfait concert. Le docteur Klein, qui est certainement un des plus mauvais coucheurs de la Scandinavie et un de ses plus rudes humoristes, dans son Voyage en Amérique, qu’il écrivit pour être désagréable à ses compatriotes, ébranle à coups de boutoir les articles de foi de l’amour-propre national. « Comme tous les Suédois, nous conte-t-il, on m’a élevé dans le dogme de l’honnêteté suédoise, une honnêteté à part et qui ne se trouve que parmi nous. J’y crus longtemps, et je nie disais : Nous sommes plus paresseux, plus ivrognes, plus lourds que les autres ; et nous ne sommes pas non plus des saints ! Mais, merci, oh ! merci, mon Dieu, de m’avoir fait naître Suédois, car, nous Suédois, nous sommes si honnêtes, si honnêtes ! Et c’est là l’essentiel… » Plus tard, son initiation à la vie des affaires lui ménagea de singulières surprises. Il ne se rendit pas du premier coup : il se cramponnait au dogme ; il murmurait le pieux credo quia impossibile, credo quia absurdum. Mais enfin, les extraordinaires faillites que l’on voit tous les jours à Stockholm, ces faillites par trop honorables et qui enrichissent leurs faillis, achevèrent de ruiner son aveugle croyance dans l’honnêteté suédoise.
Les dogmes se tiennent : si l’un cède, les autres chancellent. Le docteur Klein voyagea et perdit successivement ses illusions sur la culture suédoise, sur l’énergie suédoise, et même sur Upsal. Il découvrit cette vérité que l’enseignement primaire n’a jamais fait la grandeur d’un pays. « Nous savons tous lire et écrire. Et après ? Est-ce que cela suffit pour changer la barbarie en civilisation ? » Il enragea d’entendre des médecins, ânes bâtés, prétendre que la médecine était merveilleuse en Suède, et des militaires engraissés de punch affirmer que les Suédois étaient des