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vous étiez plus souffrant ce soir. J’espère et je désire bien que vous soyez mieux demain. Bonsoir.


Ce lundi soir à minuit, 3 janvier 1831.

Je vous remercie, mon cher général, de la communication si prompte que vous me faites de la dépêche de M. Bresson[1], et je vous réponds avec la même hâte que, dans l’état d’incendie où je vois les choses, tout ce qui peut l’éteindre est bon, quelle que soit d’ailleurs la mauvaise nature du moyen. Ainsi je n’hésite pas à vous dire de laisser nommer le prince Othon de Bavière, pourvu qu’il soit entendu que ce n’est pas nous qui le faisons nommer, et que je ne lui impose pas ma fille. Je me croirai encore heureux que nous en sortions par cette mauvaise porte, car nous sommes là dans un pâté effroyable.

Deux choses n’importent par-dessus tout : l’une, que la demande de Nemours n’ait pas lieu ; ce serait un mauvais arrangement et on croirait que je l’ai provoquée et que j’ai fait la Révolution belge pour y parvenir. L’autre, que la demande de réunion n’ait pas lieu non plus, car elle produirait les mêmes inconvéniens à un plus haut degré. Laissons donc les Belges prendre Bavière puisqu’ils le veulent, mais n’y engageons en rien notre responsabilité. Alors, cela nous tirera d’embarras pour quelque temps et on ne pourra pas nous imputer les conséquences qui en résulteront plus ou moins rapidement.

Si je n’étais pas Roi, je serais demain à sept heures auprès de votre lit pour discuter et combiner tout cela qui en vaut bien la peine, mais cette visite serait la fable de Paris et de l’Europe. Il faut se décider les yeux bandés, mais sans hésiter et à tort et à travers. Ainsi je le répète, laissons nommer Othon de Bavière sans nous engager, et puis advienne que pourra. Le premier embarras sera de lui faire une Régence, et il y en aura bien d’autres, comptez-y.

Bonsoir, mon cher général, à demain.

  1. Secrétaire d’ambassade à Londres, envoyé à Bruxelles comme agent français de la Conférence. M. Bresson joua à Bruxelles un rôle très actif, parfois en contradiction avec les Protocoles de la Conférence et avec la politique que suivait Talleyrand qui s’en plaignait. Il finit par travailler ouvertement à l’élection du Duc de Nemours. Lorsque le Roi eut repoussé cette candidature, M. Bresson fut désavoué, mais non disgracié. Nommé ministre à Hanovre, il était destiné à une brillante carrière diplomatique.