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chroniqueur est ici presque injuste : non qu’il charge les traits ; mais il insiste volontiers sur les moins agréables.

Il a évidemment mal supporté l’autoritarisme du député de 1865, comme du président de 1871. « En matière de guerre, de finance et de politique, il ne souffrait pas de contradiction. » En quelle matière en souffrait-il donc ? Il l’accuse presque de trahison envers Louis-Philippe, quand il rapporte un propos de 1846. « Il me parla de la Révolution : Je lui suis fidèle, me dit-il. Elle ne m’a pas donné un trône, je n’ai pas le droit de la trahir. » La prétention de Thiers à incarner seul l’opposition à l’Empire avait froissé Simon ; mais pour. Iules Favre, il fut froissé à son tour, étant ministre du Président, de voir Thiers traiter trop souvent en « secrétaires » les membres de l’Exécutif. Certes il rend à ses services l’éclatant hommage qui convient. Mais, très paradoxalement, ce républicain a, pour le maréchal qui le renvoya au 16 mai, des yeux plus bienveillans que pour le Président qui, contre les monarchistes, avait fondé la République.

A tous il semble préférer Grévy : pourquoi cet homme qui ne souriait jamais plut-il à cet autre qui souriait toujours ? Il faut décidément lire M. Jules Simon après M. Hanotaux. Sans doute il accuse le prudent avocat d’avoir, le 4 septembre, « pris le parti le plus sûr pour lui et le moins généreux » en refusant un ministère. « Il refusa obstinément, ajoute-t-il, comme il refusait dans son cabinet les causes qui l’auraient inutilement fatigué ou compromis. » Mais il paraît bien que, comme président, cet homme grave le rassura : « clairvoyant et impassible, écrit-il, quand tout le monde perdait la tête autour de lui. » Il l’avait vu, avec cette admiration paradoxale que conçoivent les cœurs chauds pour les cœurs froids, présider l’Assemblée avec « l’air d’un médecin surveillant une assemblée d’aliénés. » Comme s’il eût prévu l’âpre chapitre que M. Gabriel Hanotaux a consacré au bourgeois sans cordialité de l’Elysée, Jules Simon le défend avec une vivacité qu’il n’apporte pas communément à ses dires. Tout au plus reproche-t-il à Grévy d’avoir trop aimé le billard ; c’est une petite rancune : président du Conseil, Jules Simon a, quelque jour, réuni chez lui le général Cialdini, ambassadeur d’Italie et Jules Grévy : celui-ci, après dîner, a emmené le héros du Risorgimento au billard-où, écrit le chroniqueur, « ils avaient commencé une partie digne d’une éternelle mémoire. » Il faut toujours laisser la parole à Jules Simon : « Mon fils vint me dire, au bout de quelque temps, que Grévy accomplissait de véritables merveilles et que l’ambassadeur se montrait d’une humeur massacrante. On peut être un héros et être, en même temps,