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Paris, de l’École normale à l’Académie, des assemblées aux ministères, que d’hommes aperçus, que d’événemens vécus !

Il a beaucoup connu Cousin : c’est sa grande victime. J’emploie un mot fort : mais les victimes ne sont pas toujours celles qu’on jette au bûcher ; il en est qu’on retourne sur un gril. Victor Cousin s’estimerait de celles-là, si, aux Champs Elyséens, les volumes de son élève, lui étaient apportés. Personne n’a mieux inspiré la verve de Jules Simon : celui-ci sait garder à son maître une gratitude qui, cependant, ne veut pas se faire par trop naïve. Cousin exploita ce disciple comme les autres. Le normalien l’avait eu comme directeur tout à la fois et comme professeur spécial : philosophe, Simon avait dû subir l’enrégimentement, — on disait des professeurs de philosophie en 1836 « le régiment de Cousin, » — celui-ci, tout-puissant au ministère, n’eût pas souffert un acte d’indiscipline spirituelle. Jules Simon n’avait pas la nature d’un écolier, mais il n’a jamais eu d’autre part l’allure d’un rebelle. À cette apparence de courtoise déférence, Cousin dut être pris : et puis, — ce que pour rien au monde le mémorialiste n’avouerait, — le jeune professeur avait partout réussi lorsque le terrible Cousin, désirant un suppléant, l’appela à ce poste. « Il avait quitté l’apostolat, mais il a exercé le pontificat jusqu’à sa mort, » dit Simon. Celui-ci vivait plus souvent qu’il ne lui convenait sous la coupe de ce maître impérieux ; il dut en souffrir ; la délicieuse chronique où Cousin joue un rôle si amusant, est la seule vengeance d’un suppléant exploité. Il faut lire l’histoire de la traduction du Timée : l’élève a pour son compte traduit le Timée ; il va sonner chez Cousin, pour lui soumettre sa traduction. « Mon cher ami, lui dit tout de go le grand homme, vous vous occupez du Timée, vous l’avez traduit en partie, il manque à ma traduction de Platon et je vous prie de me le donner. » Simon de s’incliner : il achève la traduction, apportant chaque semaine au maître le morceau traduit, si bien que voilà l’œuvre finie, confiée à l’imprimeur. Un dimanche, Simon arrive chez Cousin qu’il trouve dans sa bibliothèque : « Comment vous portez-vous ? lui dis-je. — Assez mal. Je suis très fatigué. On ne saura jamais combien cette traduction du Timée m’a fatigué. » Puis, se rappelant tout à coup à qui il parlait. « Mais si fait, ajouta-t-il avec le plus grand sang-froid, vous le savez aussi bien que moi. » Et il parla d’autre chose. » Lorsque l’auteur du Timée écoutait parler Socrate, c’était évidemment avec d’autres sentimens : Jules Simon écrit sa chronique « en marge » de cet autre Timée. Pas un instant, il ne s’en laisse imposer par le Socrate de l’éclectisme. « Moi, monsieur, lui déclare Cousin irrité du