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le vit et ils se parlèrent très amicalement. Mais il faut reconnaître que tout ressentiment ne s’éteignit pas au cœur de la marquise. Elle revint assez souvent sur ses griefs. Elle rappela à Bussy ses torts ; elle n’avoua jamais qu’elle en eût eu. Bussy reconnut les siens et borna ceux de Mme de Sévigné à ceci seulement qu’elle l’avait amusé, lanterné, qu’elle avait « prolongé les affaires par des formalités inutiles, » alors qu’il était très pressé. A lire tout cela très froidement (car qu’est-ce que cela me fait ? ) je ne puis m’empêcher de croire qu’en 1658, Mme de Sévigné, véritablement, n’avait pas l’argent. — Mais les vingt mille livres que M. Depping a si bien découvert que Mme de Sévigné avait reçues précisément à cette époque ! — Eh bien ! est-il donc impossible qu’elle les dût, ses affaires n’étant pas très brillantes en ce temps, et que par conséquent elle ne les eût pas ? On les voit entrer chez Mme de Sévigné ; mais on ne les voit pas sortir et il est très possible qu’elles en soient sorties aussitôt qu’entrées, et personne ne peut assurer qu’elles y soient restées. Il faut signaler ces vingt mille livres ; mais il ne faut pas en faire un si grand état que de déclarer que Mme de Sévigné « mentit » dans cette occasion. L’on n’en sait rien.

Et maintenant, je laisse au lecteur le soin de faire le bilan des torts et mérites, l’un à l’égard de l’autre, de Mme de Sévigné et de Bussy.

Bussy n’avait rien d’un méchant homme. Il était capable de générosité. Il avait même, à cinquante ans, des vertus de famille. Il était orgueilleux, effroyablement vain, capable de profonds ressentimens (sa rancune éternelle contre Guitaut) et de colères risibles quand on avait seulement l’air de s’attaquer à un « homme comme lui, » ce qui était une de ses expressions favorites. Ayant fait un mot, amusant si l’on veut, sur le passage du Rhin de Boileau, et Boileau ayant dit qu’il y répondrait par vingt rimes, Bussy écrivit au Père Bapin : « J’ai de la peine à croire qu’un homme comme lui soit assez fou pour perdre le respect qu’il me doit ou pour s’exposer aux suites d’une pareille affaire. Cependant, comme il peut être enflé du succès de ses satires impunies, qu’il pourrait bien ne pas savoir la différence qu’il y a de moi aux gens dont il a parlé ou croire que mon absence donne lieu de tout entreprendre, j’ai cru qu’il était d’un homme sage d’essayer à détourner les choses qui lui pourraient donner du chagrin et le porter à des extrémités. Je vous avouerai