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On s’inquiète encore un peu de voir M. Gérard-Gailly parler de « cette pauvre critique du XVIIe siècle. » Morbleu ! que lui faut-il ? Le XVIIe siècle n’a pas eu, peut-être, de Sainte-Beuve et encore faites attention au dernier nom de la liste que je vais dresser ; mais un siècle qui a possédé comme critiques : Vaugelas, Ménage, Bouhours, Chapelain, Saint-Evremond, Boileau, La Bruyère, Furetière, Fénelon, Valincour et Bayle, n’est peut-être pas le plus petit siècle de l’histoire littéraire au point de vue de la critique ; seulement il en est peut-être, même à ce point de vue, le plus grand. « On sait assez ses autres mérites. »

De même, — ceci n’est que de l’étourderie ; mais il faut mettre en garde le lecteur qui sera si séduit par le délicieux talent de M. Gérard-Gailly qu’il lui accordera toute confiance ; — de même il ne faut pas dire que Boileau « a écarté le nom de La Fontaine. » Il l’a écarté de l’Art poétique parce qu’il écrit l’Art poétique de 1669 à 1674 et qu’en 1669 La Fontaine n’avait publié que six livres de Fables, et l’année précédente. C’était un auteur bien nouveau pour le nicher dans un ouvrage didactique. Autant vaudrait dire et je m’étonne qu’on n’ait jamais, à ma connaissance, fait cette remarque, que Boileau a écarté le nom de Racine ; car je ne sache pas qu’il ait nommé Racine dans l’Art poétique. Mais que Boileau ait « écarté le nom de La Fontaine » de ses ouvrages, cela est une assertion bien singulière. Il me semble qu’il a fait toute une « dissertation critique » sur Joconde et qu’il y a dit : « M. de La Fontaine a pris, à la vérité, son sujet de l’Arioste ; mais en même temps, il s’est rendu maître de sa matière ; ce n’est point une copie qu’il ait tirée, un trait après l’autre, sur l’original ; c’est un original qu’il a formé sur l’idée qu’Arioste lui a fournie ; » — et qu’il y a dit : « La nouvelle de M. de La Fontaine est plus agréablement contée que celle de l’Arioste ; » — et qu’il y a dit : « Un homme formé, comme je le vois bien qu’il l’est, au goût de Térence et de Virgile ne se laisse pas emporter à ces extravagances italiennes… Tout ce qu’il dit est simple et naturel ; et ce que j’estime surtout en lui, c’est une certaine naïveté de langage que peu de gens connaissent et qui fait pourtant tout l’agrément du discours ; c’est cette naïveté [naturel] inimitable qui a été tant estimée dans les écrits d’Horace et de Térence, à laquelle ils se sont étudiés particulièrement, jusqu’à rompre pour cela la mesure de leurs vers, comme a fait M. de La Fontaine en beaucoup d’endroits ; et en