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du rêve dont l’imagination de Ledochowski s’était peut-être enchantée.

Préoccupé de cette résistance française qui chaque jour créait des armées, Bismarck avait voulu, pour y mettre un terme, faire agir Pie IX sur le clergé, et le clergé sur les populations ; il jugeait le Pape et les prêtres capables de faire rentrer au fourreau l’épée de la France.

Voilà ce qu’il souhaitait de Rome, — et non point un effort de médiation. S’il avait plu à Pie IX de devenir une sorte de préfet spirituel aux ordres de Bismarck, si Pie IX, exploitant les récens accroissemens du prestige papal, avait impérieusement expédié de tels ordres au clergé de France, Bismarck eût été content, et peut-être pour longtemps eût-il imposé silence aux détracteurs du « despotisme » romain ; l’ « ultramontanisme » lui aurait paru offrir des avantages. Mais lorsque avait paru, dans le cours de janvier, une prière composée par l’archevêque Guibert, dans laquelle les Prussiens étaient accusés de vouloir asseoir l’hérésie sur les ruines de la France, Bismarck put se rendre compte que le Vatican n’avait rien fait pour empêcher les prêtres français de se comporter en bons Français ; il en garda une amertume dont trois ans plus tard il faisait encore à Gontaut-Biron la confidence exaspérée.

Une autre occasion s’était en même temps offerte, dans laquelle Bismarck avait également escompté les bons offices du Vatican. Par l’entremise du prélat Franchi, la Prusse, en décembre 1870, avait demandé au Saint-Siège d’intervenir auprès des parlementaires catholiques de Bavière pour qu’ils votassent, dociles et muets, les traités qui fondaient l’Empire nouveau ; Antonelli avait refusé. Mais Bismarck ne se décourageait point : tout de suite il faisait signe à Tauffkirchen, ministre de Bavière à Rome, d’abandonner les fonctions administratives qu’il remplissait à Reims pour le compte de la Prusse, et de courir au Vatican pour insister. A dessein, Tauffkirchen passait par Florence ; il affectait, publiquement, de réclamer des garanties pour la liberté spirituelle du Saint-Siège, et puis, le 2 janvier, il arrivait à Rome. Antonelli demeurait inflexible : « La Cour de Rome, disait le cardinal, n’a pas à s’immiscer dans une discussion qui semble d’ailleurs superflue, les unitaires de Munich devant certainement, au point où les choses ont été poussées, être persuadés que le succès ne leur échappera pas. » Tauffkirchen, au