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l’Italie en coquetant avec le Pape, et les bonnes grâces du Pape en coquetant avec l’Italie.

Parlant à Ledochowski, Bismarck avait visé la Curie ; Kozmian, qui servait de secrétaire au prélat, s’en fut tout de suite à Rome. Résumant les impressions de son maître, Kozmian concluait : que Guillaume était bien disposé pour le pouvoir temporel, mais qu’il ne pourrait rien faire que d’accord avec la France et quand la guerre serait terminée ; et l’on considéra qu’en essayant d’une médiation entre la Prusse et la France, on accélérerait la venue de ce jour réparateur. Des rumeurs se glissèrent dans les bureaux de rédaction : la Gazette d’Italie affirmait que la Prusse avait pris auprès du Vatican l’engagement de rétablir le pouvoir temporel ; la Correspondance de Genève, fondée par le comte Blome, dans la Rome calviniste, pour défendre la cause du Pape roi, étalait une demi-confiance à l’égard de Bismarck ; au Vatican, la coterie qui germanisait débordait d’allégresse ; et l’on racontait, dans certaines sacristies romaines, qu’une fois la guerre finie, Guillaume viendrait à Rome, s’y convertirait et s’y ferait couronner. Arnim excitait ces illusions, et s’amusait à blâmer ouvertement le « vol » du Quirinal par les Piémontais. On espérait, dans les cercles romains amis de l’Allemagne, qu’Antonelli lui-même apporterait bientôt à Versailles la réponse qu’exigeaient les ouvertures faites à Ledochowski ; et peut-être Bismarck lui-même, en décembre, se flatta-t-il d’obtenir cette visite. Les promenades militaires, plus tumultueuses d’ailleurs qu’efficaces, que faisait chez nous Garibaldi, avaient mis en méchante humeur le chancelier ; et sans nul doute il aurait fort bien accueilli le ministre du Pape, ne fût-ce que pour donner un avertissement à l’Italie.

Mais Antonelli demeurait très calme, très froid, et « incurablement défiant » à l’endroit de la Prusse. Le zèle excessif d’Arnim pour les droits du Saint-Siège lui semblait sans doute en contradiction avec la politique que suivait à Florence l’autre ministre de Prusse, Brassier de Saint-Simon, et qui tendait à entraîner le gouvernement italien vers les résolutions les plus violentes. D’Arnim ou de Brassier, qui donc représentait Bismarck ? et si tous deux le représentaient, cette dualité ressemblait singulièrement à de la duplicité. Antonelli disait à Lefebvre de Béhaine, le 1er janvier, que si le Pape devait quitter Rome, il irait en Corse, terre française : c’est à ce projet éventuel