Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou, peut-être, à l’incertitude réelle des décisions, ou bien encore, qui sait ? à l’équivoque des intentions ?

Les intimes de Bismarck étaient probablement mieux informés que les gouvernemens de Florence et du Vatican. A Ferrières, dès le 26 septembre, il disait entre amis : « Oui, le Pape doit rester souverain. Seulement, comment ? Voilà la question. On pourrait faire davantage pour lui, si les ultramontains ne marchaient pas partout contre nous. Je suis habitué à payer de la même monnaie dont on me paie. » Ainsi Bismarck concerterait d’après l’attitude des catholiques sa propre attitude dans la question romaine. Les catholiques étaient une force nationale, avec laquelle devait compter sa politique intérieure ; l’Eglise romaine était une force internationale, à laquelle devait avoir égard la diplomatie d’un Etat. Il fallait qu’il y eût parallélisme entre ce qu’il ferait pour ces forces et ce que ces forces feraient pour lui. Les catholiques d’Allemagne organisaient des pèlerinages à Montabaur, à Beuron, à Fulda, à Bamberg, bientôt à Rome même, pour soulever l’opinion en faveur du Pape ; à Cologne, l’archevêque Melchers, à Berlin, un grand meeting catholique, ailleurs d’impatiens pétitionnaires, faisaient appel au roi Guillaume pour Pie IX. Bismarck ne disait ni oui, ni non ; mais déjà ces manifestations lui déplaisaient. Thile en prenait prétexte pour induire l’Italie à la prudence ; mais elles agaçaient Bismarck. Ces multitudes d’Allemands catholiques, ceux qui parlaient, ceux qui signaient, ceux qui priaient, considéraient l’intervention de la Prusse auprès de l’Italie comme une satisfaction à donner à leur conscience : ils exprimaient des revendications. La question romaine, pour Bismarck, n’était qu’un épisode de sa politique générale ; et la solution de cette question ne pouvait être que l’un des élémens d’un marché. Et si les intérêts de l’Etat prussien lui commandaient de temporiser, les catholiques, en réclamant d’urgence certaines réparations, seraient convaincus de péché contre l’Etat, — la seule faute irrémissible aux yeux d’un Bismarck.


V

Un prélat survint à Versailles, au début de novembre, avec un paquet de pétitions : c’était l’archevêque Ledochowski, de Posen. Les adresses qu’il apportait représentaient à Guillaume