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Dans un drame de Wildenbruch : Le nouveau commandement, le moine « ultramontain » Bruno, blessé à mort, se confesse à l’ancien prêtre Knecht, excommunié par le Pape pour sa fidélité à l’empereur Henri IV. « Tu n’as pas connu Dieu, gronde ce prêtre impérialiste. L’amour de la patrie est service de Dieu. » C’est apparemment ce que se disait Bismarck lorsqu’on lui reprochait le Culturkampf au nom de Dieu. Quelles que fussent les questions qui s’agitassent, même celles auxquelles Dieu était mêlé, Bismarck aimait la patrie ; et quelle que fût la solution qu’il appliquait, qu’elle contristât les croyans ou bien leur agréât, elle lui paraissait, telle quelle, service de Dieu, si elle lui semblait requise pour la patrie.

Des cas pouvaient survenir où le « service de Dieu, » ainsi compris, exigerait que les intérêts mêmes du Très-Haut, tels que les représentaient, non pas seulement les catholiques, mais parfois même les luthériens, fussent sacrifiés aux nécessités humaines : cette paradoxale réalité n’était pas pour effrayer l’âme religieuse de Bismarck. Avec un bon outil, qui s’appelait la volonté bismarckienne, il échafaudait lentement un empire ; son cœur reconnaissant bénissait le Seigneur Christ pour la trempe de l’outil ; et puis, par une audacieuse ligne de démarcation, il exilait de ses plans politiques la préoccupation de ce Dieu dont il aimait à faire dériver son énergie civique, diplomatique ou ministérielle ; et tandis qu’il l’adorait comme l’unique cause efficiente de son action, il n’orientait cette action qu’en vue d’une seule cause finale : l’État.


IV

Il n’était pas dans les destinées de l’Empire germanique restauré de prendre l’épithète de saint, ni celle de romain. Et pourtant, les antiques chevauchées impériales avaient laissé de telles empreintes en Italie, sur les routes et dans les âmes, qu’une sorte d’instinct historique, — instinct inexpliqué, illogique, absurde même, si l’on avait égard aux réalités, — semblait, depuis Sadowa, solliciter vers l’Allemagne du Nord, grosse d’un Empire, l’inquiétude des regards italiens. Puis, un jour vint, hélas ! où ce fut au cœur même de la France que s’élabora la politique allemande ; et la question romaine, après avoir obsédé Bismarck à Berlin, le poursuivit jusqu’à Versailles, et vint