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III

Est-ce à dire que dans ses desseins l’édification même de l’Empire devait mettre un terme à ce provisoire et qu’il avait projeté, longtemps à l’avance, d’attaquer Pie IX lorsqu’il aurait vaincu Napoléon ? C’est ce que souvent on a prétendu, en alléguant deux propos de Bismarck. Le 10 septembre 1870, recevant à Reims le député Werlé, ancien maire de cette ville, il lui disait : « Pour rendre la France inoffensive, il faudrait la rendre presque impuissante. D’ailleurs, les races latines ont fait leur temps, elles sont en pleine décadence. Un seul élément de force leur reste, c’est la religion, et quand nous aurons raison du catholicisme, elles ne tarderont pas à disparaître. » Et le 24 octobre, parlant au grand-duc de Bade, il l’assurait, s’il en faut croire le prince impérial Frédéric, qu’après la guerre, il marcherait contre l’infaillibilité. Ces deux mots seraient deux programmes : l’un définirait le but du Culturkampf, et l’autre en tracerait la méthode ; le premier révélerait chez Bismarck un plan systématique d’anéantir le catholicisme ; et le second témoignerait que, dès octobre 1870, la collaboration entre Bismarck et les vieux-catholiques était chose décidée.

J’avoue ne pas les interpréter ainsi. Que huit jours après Sedan, Bismarck, exalté par l’orgueil de vivre et l’orgueil du triomphe, ait accablé le député Werlé sous l’insolent fardeau de certaines théories, émises dès le lendemain de Sadowa, théories fumeuses, qui semblaient faire arrière-garde aux fumées de la poudre, il n’y a là rien d’invraisemblable. Pour se présenter comme l’ennemi d’une race, d’une confession, d’une civilisation, Bismarck n’avait qu’à se rappeler le langage de certains pasteurs et de certains publicistes ; il accentuait ainsi, devant le vaincu, la portée de sa victoire : les vainqueurs aiment ces rudes amusemens. On pourra, même, s’aider de ces paroles, pour comprendre plus tard les soubresauts d’incroyable rage dont publiquement il tressaillira, lorsqu’en 1874, tenu en échec par l’épiscopat, hanté par le. spectre d’une coalition entre Rome et la France, il se considérera comme destiné par Dieu à avoir raison du catholicisme, pour le plus grand bien de l’Allemagne : mais je ne crois pas qu’on puisse conclure, de l’entretien avec Werlé, que Bismarck avait l’intention formelle, dès septembre 1870, de jeter