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son vouloir qui fit éclater le Culturkampf, son vouloir qui plus tard le pacifia. Et puisque sans Bismarck le Culturkampf serait demeuré un rêve, puisque ce fut par Bismarck qu’il devint un fait, c’est aux pas de Bismarck, tout d’abord, que notre observation doit s’attacher ; et le centre de cette histoire, dont il demeure, quoiqu’il en veuille, l’ouvrier responsable, ce sera lui, toujours lui.


I

Otto de Bismarck Schoenhausen qui, dans sa lutte contre l’Eglise, aura pour alliés, et parfois pour maîtres, certains adversaires de l’idée chrétienne et de l’idée même de Dieu, fut cependant, à sa manière, un fidèle du Christ, un dévot du Très-Haut. Les conducteurs de peuples ont des façons différentes de respecter et d’aimer Dieu. Certains le saluent comme une sorte de collègue, un peu plus élevé qu’eux dans la hiérarchie des puissances ; d’autres le considèrent comme un gendarme transcendant qui leur garantit la docilité des hommes. Tel n’était pas Bismarck ; il savait, lui, s’humilier devant Dieu. Il n’avait pas seulement avec Dieu des rapports de courtoisie, ou des rapports de politique, il s’agenouillait. Il le considérait comme dirigeant l’histoire, toute l’histoire, comme ayant concerté Iéna, et puis, après Iéna, Sedan. Attendre, jusqu’à ce qu’au travers des événemens on entende résonner les pas de Dieu, et puis, bondir, alors, et s’attacher à la frange du divin manteau, telle était, d’après son original langage, la mission de l’homme d’Etat. Peut-être eût-il dit volontiers que l’unité germanique était sortie d’une collaboration entre Dieu et lui, mais, dans cette collaboration, il ne se fût assigné qu’un rôle de doublure. Il faisait mieux qu’adorer, il savait se repentir. Les orages de sa jeunesse se terminèrent par une crise de pénitence. Il la faut observer, nous dirions presque ausculter, pour bien connaître cette nuance spéciale de religiosité que les Allemands appellent le christianisme de Bismarck.

Nous en avons le récit, de sa propre main, dans une lettre qu’en décembre 1846, âgé de trente et un ans, il écrivait à Puttkamer pour solliciter la main de sa fille. Cette demande en mariage est la confession générale de tout un passé. Bismarck y remontait jusqu’à l’heure, lointaine déjà, où il avait reçu la