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d’un de ces points de vue, et se déroulerait ensuite à son aise, avec l’attrait facile d’un système lucide. Mais pour un récit qui veut être une histoire, c’est la diversité même de ces points de vue qui est attirante ; c’est leur confusion qui est instructive ; on ne peut s’en évader loyalement qu’après s’y être d’abord attardé. Le premier devoir n’est pas de reconstituer le programme de la lutte et d’en préparer une explication historique et logique, mais, bien plutôt, d’épier et de décrire les tâtonnemens, les hésitations, les soubresauts, les incohérences.

Avant de définir et d’animer deux ou trois entités, — protestantisme, germanisme, libéralisme, — dont le Culturkampf aurait marqué l’insurrection contre Rome ; avant d’étudier dans quelle mesure il fut un mouvement philosophique, dans quelle mesure, même, un mouvement théologique, c’est vers la personne de Bismarck qu’il faut regarder ; si elle est une énigme, il faut chercher à la comprendre, et si parfois on ne la comprend pas, il faut l’avouer franchement.

Les Pensées et Souvenirs du chancelier, les innombrables propos qu’espionnèrent, près de trente ans durant, les scribes attachés à ses lèvres, méritent toujours attention, mais pas toujours créance. Les réserves qui déjà sont de mise, lorsque Bismarck entretient la postérité de ses victoires, s’imposent d’une façon plus expresse encore, s’il s’agit d’une défaite pour laquelle il plaide ou qu’il s’efforce à pallier.

Nous possédons divers brouillons, dans lesquels l’évêque Ketteler s’essayait à mettre au net son opinion sur Bismarck et sur les raisons qui firent de lui un persécuteur : un jour, il considère Bismarck comme un assez bon chrétien, à qui la secte des vieux-catholiques a inspiré je ne sais quelle peur de Rome ; une autre fois, il devine dans le Culturkampf un acte de diplomatie, commandé par l’alliance avec l’Italie et avec les nationaux-libéraux ; un troisième jour, il semble qu’il ne voie plus dans Bismarck qu’un politicien archaïque, visant à restaurer le vieil absolutisme prussien. Ainsi Bismarck était obscur pour Ketteler : il le sera quelquefois pour nous.

Nous écouterons avec soin Bismarck orateur, mais nous l’écouterons au jour le jour, comme il parlait. Nous ne chercherons pas à construire, avec l’ensemble des discours concernant sa politique ecclésiastique, une théorie, qui serait factice, sur les motifs directeurs de cette politique. Les idées qu’on y