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les Bolonais, et plus qu’eux tous peut-être, il est le maître de la pensée, le philosophe, le vrai universitaire. Il n’a pas, il est vrai, cet éclectisme qui est une des marques de l’école bolonaise ; il ne connaît pas les Vénitiens, il n’est jamais allé à Parme étudier la grâce du Corrège, et de tous les maîtres dont se sont inspirés les Bolonais celui qui a eu la plus grande action sur lui, c’est Raphaël. Et, en véritable chrétien, en puritain, en janséniste, il laisse tomber ce qu’il y avait de profane, de sensuel dans l’art de ce maître, pour n’en retenir que la pensée, la noblesse et la haute philosophie.

Rubens est aussi un bolonais, mais avec des tendances toutes différentes de celles du Poussin. Lui, ce n’est pas à Rome qu’il s’installe en arrivant en Italie, mais à Mantoue et à Venise, et sa première impression, celle qui ne s’effacera pas, c’est l’impression vénitienne : il devient coloriste et il ne cessera jamais de l’être. Mais, malgré la prédominance de ce caractère, il appartient essentiellement à l’école de Bologne, dont il a toutes les qualités, le respect de l’idée, la science de la composition et la puissance expressive. Comme les Bolonais, il est un chrétien, et il consacre la plus grande partie de ses œuvres à l’expression des drames de la vie du Christ. Étant moins sévère qu’eux et plus ardemment dramatique, il pouvait avoir plus d’action encore sur les esprits : mais par certains côtés brillans il annonce déjà la forme nouvelle qui va succéder à l’art de la contre-Réforme et qui s’incarnera dans les œuvres de Pierre de Cortone et du Bernin. — Si l’on veut comparer le Poussin et Rubens, ces deux maîtres en apparence si dissemblables, on peut dire que Rubens est un bolonais qui a connu les Vénitiens et le Poussin un bolonais qui n’a pas vu le Corrège.

L’art si peu flamand de Rubens est entré en Flandre dans les fourgons du duc d’Albe qui, après avoir tenté de détruire la race et la vieille civilisation flamandes, fit des Flandres une province espagnole, toute dominée par le christianisme méridional du XVIIe siècle. L’âme de cette civilisation nouvelle était Ignace de Loyola : Rubens en fut le bras.

Et comment ne serait-il pas lui aussi un pur italien, ce Van Dyck, qui eut Rubens pour maître et qui passa sa jeunesse en Italie, à Venise, à Rome et à Gênes, lui qui a peint tant de Madones et tant de sujets religieux, qui, comme tous les Bolonais, a une si vive sensibilité et ne diffère d’eux, ainsi que