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formes à l’expression des pensées. C’était ce que Giotto, et, après lui, tous les maîtres du XIVe siècle avaient fait, c’était ce que les Florentins du XVe avaient parfois oublié, et c’est pour avoir péché par là que tant d’œuvres du XVIe, malgré leur science, nous sont devenues si profondément indifférentes.

Le plus souvent, pour caractériser l’art des Bolonais, on dit qu’ils ont été des éclectiques, et on les raille de l’imitation qu’ils ont faite de l’art des autres. Il est vrai qu’ils ont su admirablement tirer profit des découvertes de leurs devanciers, prenant le dessin aux Florentins, le coloris aux Vénitiens et le modelé au Corrège, mais s’ils n’avaient été que des éclectiques, leur art compterait pour bien peu. Leur éclectisme ne fut qu’un moyen, le côté secondaire de leur art. Leur vrai mérite, c’est d’avoir fait un art logique, c’est d’avoir compris que la forme doit être la servante fidèle de la pensée.

C’est la pensée qui, désormais, va guider la main des artistes, c’est à elle que tout sera subordonné. Nous ne verrons plus, dans la représentation d’une scène religieuse, cette introduction si illogique de personnages contemporains, nous ne verrons plus dans le dessin d’une figure la préoccupation de formes ou de gestes n’ayant aucun rapport avec l’idée à exprimer. Si l’on veut bien y réfléchir, on verra combien, au point de vue qui nous occupe ici, l’art des plus grands maîtres de la Renaissance, celui même de Raphaël et de Michel-Ange, avait été parfois irrationnel. C’est bien mal concevoir le motif de la Mise au tombeau que d’attirer principalement l’attention, comme le fait Raphaël, sur un beau jeune homme qui, en soutenant le corps du Christ, ne songe qu’à faire valoir l’élégance de ses formes et de son attitude ; c’est mal représenter le motif d’Héliodore chassé du Temple que d’y introduire le Pape Jules II et les grands dignitaires de sa Cour ; bien plus blâmable encore est cet Incendie du Bourg qui semble n’être qu’une série d’études d’après de beaux modèles d’atelier ; et que dire de ce Jugement dernier de Michel-Ange, cette gigantesque planche d’anatomie, si indécente, que les Papes durent en faire recouvrir les nudités ?

Les Bolonais, grâce à leur volonté de faire concourir toutes les parties de leur œuvre à l’expression de la pensée, ont pu concevoir toute une série de motifs reproduisant, dans une forme très claire et très saisissante, les principales scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, et ils ont été